Psychologie transpersonnelle et états modifiés de conscience est une œuvre collaborative signée Cyrille Champagne, Muriel Rojas Zamudio et Johann Henry.Cet ouvrage sorti en 2021 s’impose selon moi comme l’une des explorations les plus étoffée, méticuleuse et éclairante sur ces sujets trop peu connus du grand public. Ce livre contribue à une démarche critique et non dogmatique marquant une possibilité de réconciliation ou du moins de trouver des articulations interdisciplinaires entre le psychologique et le spirituel, la philosophie et la psychologie.
“L’idée étant d’œuvrer à la liberté de la personne, dont celle de croire, sans jamais s’instituer le guide d’un itinéraire sur le territoire du sacré.”
Ce livre aborde le thème passionnant des expériences “non ordinaires” qui se présentent dans diverses situations : religieuses, transcendantes, psychédéliques, hypnose, inductions etc… Au fil des pages nous découvrons les apports de diverses figures notables telles que William James, Roberto Assagioli, Carl Jung, Abraham Maslow, Stanislav Grof etc… Sur ces fondements est retracée l’histoire passionnante de l’un des sujets de prédilection du transpersonnel, à savoir les états modifiés de conscience.
Chacun leur tour, les experts dans leur domaine offrent un examen approfondi des fondements de la psychologie transpersonnelle, dévoilant les idées qui la sous-tendent et les propositions novatrices qu’elles avancent.
La psychologie transpersonnelle qu’est ce que c’est ?
La psychologie transpersonnelle apparaît dans les années 1960. Sous division de la psychologie humaniste naissante, ce courant de pensée se focalise principalement sur l’implication des expériences dites “non ordinaires” dans l’établissement du bien être individuel.
La psychologie transpersonnelle est un domaine de la psychologie qui explore les aspects les plus profonds et les plus spirituels de l’expérience humaine.
Pour ce faire, elle va au-delà des perspectives traditionnelles de la psychologie, qui se concentrent souvent sur le fonctionnement de l’esprit conscient et des processus mentaux. L’approche transpersonnelle élargit donc les référentiels culturels en s’appuyant sur les état de conscience et en postulant une capacité d’autorégulation du psychisme, impactant alors les définitions et délimitation consensuelle de la réalité, de la conscience, de l’espace, du temps et de la fonction du thérapeute.
À la différence de la psychologie occidentale, la psychologie transpersonnelle n’est ni ethnocentrique (seule notre culture produirait un savoir pertinent), ni cognicentrique ( seule la raison produit un savoir pertinent).
La transe, parfois perçue comme un indice de pathologie, est ici un outil majeur de l’approche, constituant une ouverture de des perceptions au-delà de soi.
Si le mouvement transpersonnel semble prendre naissance dans l’observation de l’utilisation des psychotropes et des techniques religieuses, il s’en émancipe progressivement au profit d’un ensemble de techniques, parmi lesquelles le travail sur la respiration, sur le corps, l’exploration de l’imagination, de la méditation, l’intégration des pratiques artistiques, les jeux symboliques, de la quête de sens…
==> La psychologie transpersonnelle semble plutôt se définir à partir d’un ensemble d’expériences vécues, d’une métaphysique* et d’une épistémologie** attributs relevant habituellement des courants philosophiques.
*Recherche ayant pour objet la connaissance de l’être, des causes de l’univers et des principes premiers de la connaissance.
** Théorie de la connaissance ; « étude de la constitution des connaissances valables »
Il est important de spécifier que la psychologie transpersonnelle peut être vue comme une extension ou une évolution des approches psychologiques et ne remplace en aucun cas ces approches. Elle offre néanmoins une perspective complémentaire qui reconnaît et explore une dimension plus large de l’expérience humaine.
Les trois potentiels du transpersonnel
Les méthodes utilisées par le transpersonnel semblent porter trois potentiels :
- Un potentiel cathartique et curatif favorisant un mieux-être psychologique et psychosomatique
- Un potentiel poïetique permettant aux individus d’établir des changements cognitifs et comportementaux
- Et un potentiel herméneutique permettant aux individus d’intégrer leurs expériences et leur fonctionnement depuis un cadre de référence donné.
Ce triple potentiel n’est pas exclusif au transpersonnel et est mobilisé par bien d’autres méthodes telles que les thérapies cognitivo-comportementales, ou encore l’hypnose d’accompagnement.
Évidemment comme pour beaucoup de techniques et méthodes, la psychothérapie transpersonnelle est critiquable pour ces cadres philosophiques et ses méthodologies.
Son potentiel thérapeutique n’en reste pas moins à prendre en compte et à étudier rigoureusement.
En effet, au-delà des croyances et des racines historiques et culturelles, ce que les patients et les cliniciens attendent d’une méthode thérapeutique ce n’est pas sa vérité mais davantage son efficacité.
Stanislav Grof, pionnier dans la recherche des états modifiés de conscience
Le psychiatre Stanislav Grof a conduit des centaines de milliers d’expériences d’états modifiés de conscience, tout d’abord par l’entremise du LSD, puis grâce à la respiration holotropique.
Il a ainsi recueilli un nombre considérable de témoignages qu’il a cherché à rassembler au sein d’une nomenclature spécifique.
Il parle de quatre types d’expériences :
- Corporelles : À travers toutes sortes de sensations, agréables ou désagréables, elle peut impliquer une petite partie de son corps ou le corps tout entier.
- Biographique : Consistant en la reviviscence d’un épisode de vie, soit sous forme d’un simple souvenir, soit en revivant comme si on y était encore (dissocié/associé).
- Périnatale : Les scientifiques se battent encore à propos de savoir si la maturation du cerveau, et notamment la myélinisation incomplète des axones à la naissance, permet ou non d’acquérir des souvenirs des premiers jours ou semaines de la vie.
Pour ma part j’avoue avoir un tout autre avis beaucoup plus prudent sur la question, néanmoins pour Grof, cela ne fait aucun doute, nous gardons des souvenirs de notre propre naissance voir de la vie intra-utérine. Ces événements marquants et leur impact vécu par le fœtus ont dans tous les cas un impact certain sur la formation de notre psychisme.
- Transpersonnelle : Ici nous retrouverons un dépassement des frontières spatiales et temporelles habituelles, ainsi qu’un dépassement de la réalité dite ordinaire énormément détaillé dans l’ouvrage.
La question est de savoir si les expériences vécues en état modifié de conscience correspondent à une réalité purement intrasubjective, d’une réalité extérieure, ou encore d’un mélange des deux. Cette question divise depuis le début de la communauté Et c’est depuis peu cristallisé sous la forme de ce qui a été nommé la controverse “Hartelius-Taylor”.
Pour aller plus loin sur le sujet je vous conseille de lire : Manuel clinique des expériences extraordinaires.
La voie du souffle : La respiration holotropique
« Il n’est que l’expérience de notre propre divinité dans un état non ordinaire de conscience qui puisse jamais combler nos besoins les plus fondamentaux » Stanislas Grof
Suite à l’interdiction subite de l’utilisation de psychotropes telle que le LSD dans les années 1970, Stanislav Groff stoppa ses expérimentations pourtant prometteuse sur le sujet mais ne se résigna pas, il inventa avec son épouse la pratique de respiration holotropique (néologisme signifiant “aller vers le tout”).
Largement inspirée de technique traditionnelles telles que le pranayama (yoga de la respiration) et d’autres pratiques dites “chamaniques”, la respiration holotropique est depuis lors l’une des techniques reine de la psychologie transpersonnelle.
Cette technique repose sur trois axes :
- l’hyperventilation
- l’utilisation de musiques et de rythmes spécifiques (une première phase très dynamique type tribale, une deuxième d’ouverture et d’expansion avec des musiques évoquant la puissance et la conquête, une troisième portant vers l’intériorité avec des musiques plus douces, et une dernière phase dite d’intégration avec des musiques voire de simples sont très doux et subtils)
- et un travail psychocorporel, qui consiste en l’intervention par le toucher de thérapeute ou d’assistant
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’hyperventilation activée par ce type de respiration ne fait pas monter le taux d’oxygène, qui est déjà naturellement à un taux quasi saturé dans le sang, mais provoque une baisse du CO2, phénomène appelé “hypocapnie”.Cela crée dans le cerveau une situation biochimique en alcalose (alcalinité excessive du sang) avec pour conséquence une vasoconstriction généralisée empêchant notamment la conscience d’élaborer des stratégies de fuite ou de lutte, et inhibant l’activité motrice.
Les zones corticales étant particulièrement touchées, cela réduit fortement les capacités mentales d’analyse de rationalisation ou de défense. Ainsi en inhibant les stratégies d’évitement habituel de la conscience, ce type de respiration permet de se confronter à ce que le sujet cherche à éviter la plupart du temps : peurs archaïques intenses, traumatismes enfouis et et sensation/perceptions nouvelles susceptibles de bousculer sa lecture de la réalité.
Selon Grof, cette technique permet l’accès à une intelligence intérieure directement liée à l’intelligence du corps, qui offrirait de nombreux bénéfices tels que la catharsis et la libération de nombreuses tensions corporelles et émotionnelles, la redynamisation physique et psychique, l’accès ou la découverte de ressources internes, le réenchantement du monde…
Attention, il va de soi que cette pratique doit être en amont validée par votre médecin et pratiquer dans un encadrement sécurisé, accompagné d’un professionnel.
Sortir du clivage « psy » et « spi »
Selon les auteurs, le mouvement transpersonnel est né d’une réaction face au puritanisme chrétien et au matérialisme scientifique, qui s’est traduite par une forte influence des courants spirituels, et une relecture des traditions orientales et chamaniques. Aujourd’hui développer la recherche phénoménologique et le dialogue interdisciplinaire semble plus que jamais essentiel tant pour le transpersonnel que pour la psychothérapie en général.
Le but étant d’actualiser et modéliser les apports théoriques des générations précédentes.
Comme il est mentionné dans la conclusion de l’ouvrage :
Sans recherche vivante, comment nourrir notre réflexion et sortir du clivage entre psychologie et spiritualité ? Comment objectiver le potentiel thérapeutique des expériences non ordinaires, si flagrantes sur le terrain ? Sur quelle base former puis fédérer des praticiens pour répondre aux besoins de leur contemporain ?Comment rapprocher thérapeute de terrain et scientifique de détails, et unir leurs observations sans se subordonner les unes aux autres ?
“Bien qu’indispensable pour se repérer dans ses accompagnements, la connaissance théorique ne suffit pas à faire un praticien. Au savoir doivent s’ajouter des savoir-faire et des savoir-être que seul l’expérience permet de développer. Ces savoir-faire et ces savoir-être sont impossibles à étudier et à reproduire à l’identique dans des dispositifs scientifiques.Ils ne peuvent qu’être connus de l’intérieur, par le terrain, et ne peuvent pas se transmettre tel quel. Dans cette optique, que vous soyez apprentis accompagnant ou professionnel aguerris en activité, nous vous invitons à poursuivre, par l’une ou plusieurs des voies présentées dans cet ouvrage, votre chemin d’évolution psychologique et spirituelle, ainsi que la reconnaissance et la gestion des mécanismes défensif produit par votre histoire.”
Un livre destiné au personne un minimum familiarisé avec l’approche
Dans ces pages extrêmement bien documentées et sourcées, les néophytes peuvent rapidement s’y perdre. Le vocabulaire ainsi que les concepts employés peuvent s’avérer délicat à suivre, c’est donc un livre que je conseille aux personnes déjà familiarisées un minimum avec le sujet. Pour ma part j’ai largement apprécié lire les trois auteurs. Outre leur capacité à approfondir les développements contemporains du domaine, j’ai beaucoup appris sur la dimension historique de l’ouvrage offrant une rétrospective éclairée sur les évolutions du transpersonnel.
En conclusion, « Psychologie transpersonnelle et états modifiés de conscience » se révèle comme une œuvre enrichissante et érudite, offrant une plongée captivante dans les méandres du psychisme. Si vous êtes passionnés par ces sujets, je ne peux que vous encourager à vous le procurer.
Sylvain Gammacurta
Liens des différents auteurs :
Cyrille Champagne : https://cyrillechampagne.wordpress.com/
Muriel Rojas Zamudio : https://www.souffledor.fr/auteur/811-muriel-rojas-zamudio
Johann Henry : https://holoniis.com/