Un livre passionnant
Après le miracle Spinoza (2017), Frédéric Lenoir dédie son nouvel ouvrage à un autre penseur l’ayant profondément marqué à savoir le psychologue Carl Gustav Jung.
Il écrit : « Jung est ainsi pour moi le premier penseur de la postmodernité : il ne récuse pas les vecteurs fondamentaux de la modernité – la raison critique, la globalisation et l’avènement de l’individu -, mais il montre les limites de la raison, les ambiguïtés des progrès technologiques, l’impasse de l’individualisme.Il est à la fois un témoin et un penseur de la quête de sens contemporaine, qu’il a aussi en grande partie inspirée par ses écrits sur les philosophies orientales, l’ésotérisme et les courants mystiques, le lien entre science et spiritualité, le langage symbolique, le dialogue du conscient et de l’inconscient, les phénomènes paranormaux, l’exploration des confins entre la vie et la mort, la conjonction des contraires ou des polarités. »
Il est vrai que la pensée de Jung, ayant indéniablement marqué des pans entiers de notre culture reste cependant trop méconnue auprès du grand public.
Ce qui est appréciable dans la pensée de Jung est qu’il ne récuse aucun paradigme. Cependant, avec une humilité incroyable, il en définit les limites, les paradoxes et les ambiguïtés.
Homme de sciences et empiriste, il accorde cependant une importance primordiale aux mythes, à la spiritualité ou à l’ésotérisme, ce qui lui vaudra les foudres de certains de ses confrères.
Néanmoins, ses détracteurs ne s’arrêtent pas que du côté des freudiens ou des penseurs rationalistes, il a aussi été violemment attaqué par les théologiens et les autorités religieuses pour ses critiques émises envers la religion, notamment chrétienne.
Jung n’est pas antireligieux pour autant. En effet, tout au long de son œuvre, le philosophe ne cessera d’avoir la conviction que l’âme possède naturellement une fonction religieuse, un lien au sacré et que le refoulement de cette fonction est l’un des plus grands drames de l’Homme moderne européen. Ses propos ne sont d’ailleurs pas sans rappeler certains traits de la philosophie de Nietzsche et de la mort de Dieu, on y apprend d’ailleurs que Jung a profondément été marqué par la lecture du Zarathoustra.
Jung est un visionnaire, convaincu que la plupart des troubles psychiques sont liés à l’absence de sens, les études contemporaines en neurosciences valident un tel diagnostic.
Que ce soient par le biais de croyances religieuses structurantes ou par processus d’individuation, l’être humain répond à son besoin fondamental d’avoir une représentation du monde qui satisfasse la totalité de « l’âme », ce que le psychologue nomme : “l’expression mythique”.
Frédéric Lenoir dans ce livre retrace succinctement la jeunesse du psychologue, ses paradoxes et ses dichotomies, son travail, sa relation type père-fils avec Freud et sa rupture avec ce dernier.
Après une collaboration fructueuse, de nombreux points de désaccord viennent effectivement entacher la relation entre les deux hommes notamment sur l’importance accordée à la sexualité, de l’inconscient ou des phénomènes paranormaux.
Suite à cette rupture, Jung s’étend mis le monde de la psychiatrie à dos, connaît une période d’extrême déstabilisation qui va se révéler être l’occasion d’un changement fécond tant sur le plan personnel que professionnel. Ce qui est fort appréciable au fil des chapitres de ce livre est d’ailleurs le lien permanent entre les deux aspects de la vie de Jung intrinsèquement liés.
Processus d’individuation
Intéressé par le travail de J-M Charcot (dont je parle ici), notamment l’hypnose comme état modifié de conscience sur les malades, Jung fut également grandement influencer par Pierre Janet chez qui il suivra des cours au Collège de France ou encore de Eugen Bleuler.
Jung met un point d’honneur à s’éloigner de la doxa de la médecine traditionnelle de l’époque en considérant que le mal psychique ne consiste pas seulement en phénomènes localisés mais davantage l’expression d’un dysfonctionnement de la personnalité entière.
Frédéric Lenoir, face à la densité de l’œuvre de Jung, souligne combien il est difficile « de l’exposer de façon linéaire, au fil d’un plan présentant une continuité.» A son tour il propose un schéma intéressant autour du processus d’individuation :
Pour Frédéric Lenoir, la pensée de Jung est circulaire d’où la difficulté de la présenter en un seul ouvrage de manière linéaire sans s’y perdre. On parle aujourd’hui de pensée « en arborescence » qui caractérise bien souvent les personnes à haut potentiels.
L’auteur distingue 3 phases qui conduisent à l’individuation (s’autoréaliser et s’orienter vers la complétude) :
« Trois grandes phases sont à identifier. Dans un premier temps, on voit s’établir un élargissement de la conscience car plusieurs contenus inconscients deviennent conscients. Dans un deuxième temps, l’influence dominante et excessive de l’inconscient sur le conscient perd peu à peu de sa force. Enfin, tous ces éléments combinés permettent une modification de la personnalité. Le processus d’individuation est ainsi réalisé. Il s’agit de mourir à un certain état pour renaître à un nouvel état, plus évolué,plus conscient.»(p.218)
Conclusion
Un livre plutôt bien écrit, clair et très intéressant. Bien que connaissant un petit peu le travail de Jung par la lecture de quelques-uns des ses ouvrages, j’ai appris quelques détails et j’ai été passionné par la lecture des pages. Cependant, ce livre est je pense destiné au grand public, souhaitant découvrir rapidement mais très justement Jung et son œuvre ainsi que l’impact de celle ci sur notre monde moderne. Les plus fins connaisseurs auront selon moi sous les yeux un livre agréable composé de nombreuses citations qu’ils connaissent déjà mais ne devraient pas être totalement satisfaits par les explications de Frédéric Lenoir, destinées en premier lieu à un large public néophyte.
Sylvain Gammacurta