Comprendre et maîtriser l’hypnose profonde, Edition Dunod, collection les ateliers du praticien (mai 2022). Ouvrage écrit sous la direction de Antoine Bioy et Daniel Goldschmidt, préface de Gérard Ostermann. Avec la participation de E. Collot, R. Evrard, J-C. Lavaud, F. Mahia, S. Morar, T. Servillat.
Ce livre de 2022 présente l’actualité des connaissances en hypnose selon différents points de vue (historiques, psychologiques, phénoménologiques, neuroscientifiques…) en s’appuyant sur des figures incontournables de l’hypnose telles que Pierre Janet, Frantz Anton Mesmer, Haley, Zeig ou encore Milton Erickson.
Les 8 chapitres écrits par des auteurs différents développent des analyses complémentaires suivies de situations cliniques précises, qui illustrent la méthode de l’hypnose profonde et les principales techniques permettant de susciter ces expériences.
Hypnose profonde
L’hypnose profonde désigne avant tout une pratique, qui permet au patient de faire une expérience modifiant profondément son rapport à l’existence. Cette pratique semble faciliter les processus de changement, en s’appuyant sur des phénomènes qui ont, depuis tant d’années, interrogé de nombreux chercheurs et praticiens.
L’hypnose et sa profondeur sont intimement liées à la notion de dissociation, non pas au sens pathologique (trouble dissociatif) du terme, mais davantage comme un processus inné et universel nécessaire au développement de chacun de nous. C’est en effet un mouvement de l’attention, de l’engagement actif du sujet ainsi que la capacité à jongler avec les pensées, émotions et comportements.
En d’autres termes pour A. Bioy, pas d’apprentissage sans dissociation. L’hypnose est d’ailleurs selon l’auteur :
“une situation d’apprentissage et la répétition de procédures telles que l’entrée dans l’hypnose profonde aura donc pour vertu d’intérioriser les processus activés pour le travail thérapeutique. Pas d’apprentissage hypnotique sans dissociation, pas d’apprentissage installé en hypnose profonde sans répétition de la procédure !”
L’hypnose profonde repose notamment sur la foi du praticien dans la “bonne” façon de pratiquer et la congruence qui en découle…une certaine assertivité, une qualité de relation préalable avec le sujet ainsi qu’une posture ad hoc. (F. Mahia)
Cet état apparaît de plus en plus objectivable par les neurosciences, notamment avec la désactivation du réseau du mode par défaut du cerveau. Cet état s’avère extrêmement utile thérapeutiquement, l’hypnose profonde permettant notamment de travailler jusqu’à des niveaux fondamentaux de l’identité du sujet (refondation identitaire avec intégration complète de changement).
Processus psychologique de l’hypnose profonde
Selon l’approche de Ronald Shor (Ronald E. Shor: Books – Amazon.com) “l’hypnose profonde peut être définie comme un système impliquant trois dimensions conceptuellement distinctes.”
- La dimension de l’implication dans la prise de rôle hypnotique (intériorisation des représentations de l’hypnose par le sujet, croyances attentes…)
- La dimension de transe, un vécu atypique de perte plus ou moins importante de l’orientation générale.
- La dimension de l’implication archaïque, le lien particulier qui se noue entre le thérapeute et le patient.
A savoir que l’auto-transe du praticien semble être également un point clef. Pour reprendre une explication de Milton Erickson “ j’ai pris soin de souligner l’importance, pour induire l’hypnose…de sentir littéralement à l’instant même, à l’intérieur de soi, toute la signification de ce qui est dit.”
Effectivement, selon les auteurs, il n’est pas possible de parler d’hypnose profonde sans parler de celle du thérapeute, “toute pratique de transe à visée thérapeutique implique que l’accompagnant soit lui-même dans une forme de transe. Une transe qui roule est bien souvent signalée au thérapeute par le thérapeute par le fait qu’il s’est autorisé à être “présentement absent” (A. Bioy)
Approfondissement de l’état d’hypnose
Un état d’hypnose s’obtient généralement de façon assez simple grâce à un focus sur les capacités d’attention du sujet (et du praticien). Une fois obtenue une qualité d’attention adéquate, suffisamment immersive et que s’est développée une dissociation, il est possible d’utiliser différentes techniques d’approfondissement afin de se diriger vers l’hypnose profonde.
Parmi les diverses techniques décrites par F. Mahia nous retrouvons les métaphores (l’hypnose profonde est déjà une métaphore), les évocations, les doubles et triples liens, la rupture du pattern, les décomptes ou les injonctions plus directes.
L’auteur nous parle également du fractionnement qui consiste à “ressortir” la personne de son état pour rapidement l’y “replonger”.
Les trois piliers essentiels de l’hypnose profonde
D’après D. Goldschmidt, l’hypnose profonde repose sur trois piliers essentiels :
- L’obtention par le biais d’induction d’un état somnambulique
- Le partage d’un secret avec l’inconscient (afin de briser la résistance consciente)
- Les états profonds de l’hypnose constituent un dispositif suggestif suffisamment puissant pour entraîner des automatismes inconscients capables d’assurer des recadrages efficaces et la psychothérapie de traumas difficiles.
Inductions clefs vers l’hypnose profonde
Dans ce chapitre, celui qui j’avoue a suscité en moi le plus d’intérêts, Daniel Goldschmidt nous dévoile de nombreuses techniques d’inductions amenant à l’hypnose profonde, à commencer par la célèbre induction de Dave Elman, réputée pour placer le sujet dans un état permettant la quasi-disparition du facteur critique, ouvrant la porte aux suggestions. Ensuite, l’auteur poursuit avec des explications utiles sur diverses autres inductions telles que les mains magnétiques (version Antony Jacquin), le « slam dunk« , « triple bind conversational induction » (Dr Mike Mandel), les miroirs (Stephen Brooks), l’induction 3-2-1 (Elizabeth Erickson), l’induction par mouvements oculaires rapides (REM, Dr. Mike Mandel), l’induction de l’univers en rotation (par Daniel Goldschmidt lui-même).
L’hypnose profonde selon M. Erickson
T. Servillat présente dans cet ouvrage l’approche qu’avait M. Erickson de l’hypnose profonde. Dans ⅓ des cas Erickson ne savait pas si ce qu’il faisait était de l’hypnose ou non, il parlait tantôt de “dissociation”, tantôt de “recherche interne”. Erickson avait la conviction que c’est le patient qui fait l’hypnose et non le thérapeute, ce dernier ne faisant que le cadre.
La profondeur de transe n’a également aucune importance pour lui, il n’y a pas à s’en préoccuper si le travail thérapeutique se passe bien.
Erickson privilégiait autant qu’il le pouvait une approche utilisationnelle afin d’induire la transe profonde.
Il partait du postulat que l’inconscient est plus intelligent que le conscient et qu’il s’avère utile de laisser l’inconscient décider.
Du point de vue ericksonien actuel (Gilligan, Yapko, Lankton…) la transe hypnotique est envisagée, plutôt que comme un état, comme un processus dynamique lors duquel le sujet vit des alternances de transe légère, moyenne, profonde et aussi des moment d’éveil. C’est la notion de “vagabondage” proposée par Roxanna Erickson.
Certains patients ont besoin d’une thérapie consciente, en intégrant des histoires, des anecdotes ou encore de l’humour (permettant de facilement entrer en transe).
Erickson encourageait ses étudiants à inventer pour chaque patient une thérapie différente…
Il est également important d’entraîner les patients suffisamment longtemps pour qu’ils puissent s’émanciper des croyances préalables qui pourraient limiter les possibilités de la transe profonde.
T. Servillat par la suite évoque et définit les différents aspects techniques de l’hypnose ericksonienne, à savoir le rôle de la confusion, la répétition ainsi que le choc thérapeutique. Il nous présente par la suite quelques techniques post-ericksonnienne, tel que la technique de l’escalier, d’utiliser des suggestions composées verbales du type “tandis que vous faites X, vous pouvez faire Y”, des techniques de fermeture des “yeux de l’esprit”, le silence…
Pour aller plus loin sur le travail de M. Erickson :
https://gammacoachinghypnose.com/jay-haley-un-therapeute-hors-du-commun-milton-erickson
Fin de l’ouvrage (neurophysiologie, hypnoanalyse et anthropologie)
Pour conclure cet ouvrage, S. Morar, E. Colla et J.C Lavaud nous parlent respectivement de neurophysiologie, d’hypnoanalyse et d’anthropologie.
J’entrerai plus profondément dans ces thèmes passionnants lors d’articles futurs prévues à cet effet.
Pour vous mettre l’eau à la bouche sur la fin de ce livre, on y parle d’hypnotisabilité sous la lumière de l’irm fonctionnel et des différentes aires de notre cerveau, on y parle également du fameux mode par défaut, des processus attentionnels,de la motricité, etc…
Article sur ce même sujet : https://gammacoachinghypnose.com/sommes-nous-tous-hypnotisables
Sur la partie en rapport avec l’hypoanalyse, E. Colla présente les grandes lignes de l’appareil psychique jugien (CG Jung), la libre association, la dissociation, la régression.
Enfin J.C Lavaud nous parle de la “transe animale” (analogie de personnification) où il est possible d’apporter métaphoriquement les caractéristiques d’un animal (prenant contact alors avec notre propre animalité, réduisant le clivage humain/nature) permettant au patient de bâtir un nouveau monde, dont on suppose qu’il va avoir des effets de transformation pour la personne dans son quotidien.
Conclusion et avis
“Comprendre et maîtriser l’hypnose profonde” est un livre que j’ai eu grand plaisir à lire, de part la richesse et la précision des informations qu’il contient. Il permet aux passionnés de l’hypnose ou simplement de la psychologie humaine d’explorer et de comprendre davantage ce qu’il se cache derrière ce que l’on nomme communément l’hypnose profonde.
J’ai beaucoup apprécié que ce livre soit rédigé par divers auteurs aux compétences et angles de vue différents, cela m’a permis d’apprendre beaucoup au niveau technique mais aussi historique, conceptuel et même spirituel.
Un autre point particulièrement crucial réside dans le fait que chaque chapitre est systématiquement suivi de cas concrets de mises en situations cliniques de la transe profonde que les auteurs ont pu rencontrer dans leurs pratiques, ce qui permet non seulement d’illustrer leurs propos mais aussi de donner un exemple d’utilisation de la théorie acquise en amont.
Évidemment je vous conseille la lecture de ce livre qui va beaucoup plus loin que ce simple article de présentation.
Sylvain Gammacurta.
Pour commander cet ouvrage :
Colloque hypnose 2013