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Propaganda : Comment manipuler l’opinion en démocratie

Livre écrit par Edward Bernays en 1928, réédition 2021 chez Zones, préface de Normand Baillargeon, philosophe, professeur à l’université du Québec à Montréal, et auteur d’un Petit cours d’autodéfense intellectuelle paru chez Lux en 2007.

C’est à l’aube de “la grande dépression”, peu de temps avant la crise de 1929, dans un contexte social et économique compliqué, que Edward Bernays écrit Propaganda.

L’auteur, neveu américain de Sigmund Freud, veut par ce livre exposer sa vision de la démocratie libérale et sa théorie de l’ingénierie sociale.

Bernays est souvent mentionné comme le père de la propagande moderne, plus précisément de la propagande politique institutionnelle et de l’industrie des relations publiques, autrement dit de la manipulation de l’opinion.

Fortement influencé par les idées de Gustave Le Bon (psychologie des foules) il fut l’un des premiers à théoriser et utiliser la psychologie du subconscient dans le but de manipuler l’opinion publique malgré elle. 

Selon lui, la société est vouée au chaos si l’opinion publique n’est pas sous contrôle. 

La voix de la propagande, connotée péjorativement depuis la Première Guerre mondiale, qu’il préfère renommer “relations publiques », constitue pour lui le paradigme le plus efficace afin de contrôler l’anarchie, “organiser le chaos”.

La manipulation des relations publiques doit infiltrer tous les domaines de la vie du citoyen afin que le peuple se soumette volontairement, sans violence, aux ambitions des élites industrielles, politiques et intellectuelles de la nation.

L’objectif de l’auteur est, avant toute chose, de convaincre les classes privilégiées et dirigeantes de son pays, les «minorités intelligentes», qu’elles ne pourront conserver leurs privilèges sans la mise en place de solides campagnes de propagande.

Dans le domaine des relations publiques et de la publicité, Edward Bernays met au point les méthodes d’incitation à la consommation pour des firmes comme Lucky Strike (cf point 4).

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1.Organiser le chaos, une nécessité même en démocratie

“Nous sommes pour une large part gouvernés par des hommes dont nous ignorons tout, qui modèlent nos esprits, forgent nos goûts, nous soufflent nos idées. C’est la conséquence logique de l’organisation de notre société démocratique. Cette forme de coopération du plus grand nombre est une nécessité pour que nous puissions vivre ensemble au sein d’une société au fonctionnement bien huilé. “

Avec l’avènement du suffrage universel et la généralisation de l’éducation, force est de constater que le pouvoir est désormais partiellement détenu par le peuple. Or pour Bernays, ce dernier constitue un danger pour la grande bourgeoisie ainsi que pour le fonctionnement des pays.

“Théoriquement, chacun se fait son opinion sur les questions publiques et sur celles qui constituent la vie privée. Dans la pratique, si tous les citoyens devaient étudier par eux-même l’ensemble des informations abstraites d’ordre économique, politique et moral en jeu dans le moindre sujet, ils se rendraient vite compte qu’il leur est impossible d’arriver à quelques conclusions que ce soit.”

Le problème inhérent à la démocratie est ainsi, selon l’auteur, le poids trop important de la la voix du peuple, qui fait obstacle à l’application des programmes des dirigeants. Dans le contexte d’une nation aussi vaste que l’Amérique, la propagande est l’alliée indispensable des hommes politiques dont le succès dépendra de leur capacité à modeler l’opinion

Ce modelage des opinions demeure une nécessité pour juguler le corps social et l’homogénéiser.

En effet, Bernays rappelle que les premières techniques de propagande de masse sont nées pendant la Première Guerre mondiale et ont permis de gagner l’approbation de l’opinion publique au moment de l’entrée en guerre des États-Unis et par conséquent de susciter l’adhésion massive à l’effort collectif, patriotique.

Pour éviter que le chaos et la confusion ne s’installent, la société consent à ce que son choix se réduise aux idées et aux objets portés à son attention par la propagande. Un effort immense s’exerce en permanence pour “capter les esprits” en faveur d’une politique, d’un produit ou d’une idée.

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La propagande moderne peut être définie comme un «effort cohérent et de longue haleine pour susciter et infléchir des événements dans l’objectif d’influencer les rapports du grand public avec une entreprise, une idée ou un groupe».

A travers les premières pages, il est aisé de comprendre les arguments utilisés par Bernays concernant la démocratie.

“Peut-être serait-il préférable de remplacer la propagande par des comités de sages qui choisiraient nos dirigeants, dicteraient nos comportements, publics et privés, décideraient des vêtements que nous devons porter et des aliments que nous devons manger parce qu’ils sont les meilleurs pour nous. Nous avons cependant opté pour la méthode opposée, celle de la concurrence ouverte.”

Pour l’auteur, l’enjeu crucial est donc de parvenir à diffuser les idées d’une “élite” à l’ensemble des membres du corps social.

2.Fragilité démocratique et gouvernement invisible

“L’instruction généralisée devait permettre à l’homme du commun de contrôler son environnement, à en croire la doctrine démocratique, une fois qu’il saurait lire et écrire il aurait les capacités intellectuelles pour diriger. Au lieu de capacités intellectuelles, l’instruction lui a donné des vignettes en caoutchouc, des tampons encreurs avec des slogans publicitaires, des éditoriaux, des informations scientifiques, toutes les futilités de la presse populaire et les pratiques de l’histoire, mais sans l’ombre d’une pensée originale.”

En théorie, l’idéologie de la démocratie s’appuie sur l’idée que le peuple est maître de son destin, que chaque citoyen possède son libre arbitre. Dans les faits en revanche, les enjeux sociaux sont d’une telle complexité qu’il s’avère impossible que chacun se forge une opinion : le citoyen croit avoir des goûts, des idées, des comportements propres ; en réalité ces derniers ne sont que le jeu d’une «soumission volontaire» à des messages extérieurs provenant du «gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays». 

Les «nouveaux propagandistes» sont ainsi plutôt des «hommes de l’ombre», dont il détaille la liste pour l’époque : présidents de groupes d’intérêts en tous genres, écrivains, journalistes, producteurs, mais aussi ecclésiastiques populaires, financiers ou sportifs de haut niveau. En somme, ceux que nous appellerions aujourd’hui des «leaders d’opinion».

«Dans maints domaines de la vie quotidienne où nous croyons disposer de notre libre-arbitre, nous obéissons à des dictateurs redoutables».

3.La propagande pour guider la foule

Bernays, tout au long de son ouvrage, s’efforce de démontrer en quoi les techniques des propagandes ne constituent pas une manipulation négative du grand public, mais au contraire favorisent la rencontre entre l’entreprise et ses clients potentiels. 

L’auteur, convaincu que les sciences sociales peuvent apporter une solution aux problèmes sociaux et économiques, fonde sa démarche sur un solide appareil “scientifique”.

Il rappelle donc que les études de la psychologie des foules déjà réalisées à l’époque par Wilfred Trotter, Gustave Le Bon, Graham Wallace ou encore Walter Lippmann ont montré que les mécanismes de la psychologie collective sont différents de ceux de la psychologie individuelle et que la notion de “pensée”, au sens strict du terme, n’a pas sa place dans la mentalité collective.

Cette dernière étant guidée par l’impulsion, l’émotion, les images (symboles) ou encore les stéréotypes davantage que par la rationalité et la réflexion

« L’homme étant de nature grégaire, écrit-il, il se sent lié au troupeau, y compris lorsqu’il est seul chez lui, les rideaux fermés. Son esprit conserve les images qu’y ont imprimées les influences sociales».

Aux niveaux individuels et collectifs, les choix sont aussi motivés, comme ont démontré les travaux de Sigmund Freud, par des désirs refoulés que l’individu cherche inconsciemment à compenser : ainsi l’achat d’une voiture par un consommateur masculin peut-il être l’expression d’un désir de puissance, de réussite sociale, de séduction, plutôt que d’un réel besoin matériel. 

En sommes, nos actes sont très souvent déterminés par des mobiles cachés ou des stimulis extérieurs. 

“Ce grand principe voulant que nos actes soient très largement déterminés par des mobiles que nous nous dissimulons vaut autant pour la psychologie collective que pour la psychologie individuelle. Le propagandiste soucieux de réussir doit comprendre ces mobiles cachés, sans se satisfaire des raisons que les individus avancent pour justifier leur comportement. A cet égard, il ne suffit pas de bien connaître la mécanique sociale, le jeu des regroupements, des clivages et des allégeances. Un ingénieur a beau tout savoir des cylindres et des pistons d’une locomotive, il ne pourra pas la faire démarrer s’il ignore comment la vapeur réagit à la pression. La vapeur qui fait tourner la machine sociale, ce sont les désirs humains.” 

L’auteur évoque alors comment le bacon est devenu un produit surconsommé par la population, par le biais du corps médical à qui l’on a suggéré de se prononcer publiquement sur les effets salutaires de la consommation de ce produit.

Le propagandiste moderne va donc entreprendre de créer les circonstances indirectes à même d’influencer le choix des consommateurs.

La stratégie consiste à être à l’écoute constante du marché afin de provoquer, par la publicité, chez les consommateurs, des désirs d’achats le plus souvent inconscients. Pour se faire, il est plus efficace de capter l’attention du public pour la fixer sur une caractéristique ou une valeur particulière de l’entreprise.

==> L’immense succès commercial de la savonnette Ivory de Procter & Gamble est un exemple probant : l’idée sous-jacente de la campagne était de parvenir à associer le produit aux notions de bienveillance maternelle et d’éducation artistique de la jeunesse. À cette fin, l’entreprise organisa avec le parrainage d’un célèbre sculpteur ainsi que du respecté Centre Artistique de New York, un gigantesque concours de sculpture auquel furent associées les écoles, mais aussi les mères des élèves. 

Les ressorts psychologiques utilisés ici,étaient : le bon goût, la compétition, le snobisme et surtout la sollicitude maternelle.

D’autres valeurs, telles que la charité, le mécénat, la qualité, la condition féminine ou encore la santé sont ainsi donnés en exemple au cours de l’ouvrage… Par exemple, pour vendre un dentifrice, plutôt que de s’acharner à vanter des vertus miraculeuses, mieux vaut adopter un angle d’attaque publicitaire médical qui poussera le consommateur soucieux de sa santé à acheter ce produit plutôt qu’un autre.

La propagande s’avère ainsi extrêmement efficace dans le domaine de la consommation, elle l’est également en ce qui concerne la propagation des idées et la manipulation de la pensée.

4.Bernays : Tabac et féminisme

On peut soutenir que le succès le plus retentissant de Bernays sera d’avoir amené les femmes américaines à fumer. Cet épisode, si éclairant sur sa manière de penser et de travailler, mérite d’être raconté en détail.

==> Nous sommes en 1929 et cette année-là, George Washington Hill, président de l’American Tobacco Co., décide de s’attaquer au tabou qui interdit à une femme de fumer en public, un tabou qui théoriquement, faisait perdre à sa compagnie la moitié de ses profits. Hill embauche Bernays qui, de son côté, consulte aussitôt le psychanalyste Abraham Arden Brill, une des premières personnes à exercer cette profession aux États-Unis. 

Brill explique à Bernays que la cigarette est un symbole phallique représentant le pouvoir sexuel du mâle : s’il était possible de lier la cigarette à une forme de contestation de ce pouvoir, assure Brill, alors les femmes, en possession de leurs propres pénis, fumeraient.

La ville de New York tient chaque année à Pâques une célèbre et très courue parade. Lors de celle de 1929, un groupe de jeunes femmes avaient caché des cigarettes sous leurs vêtements et, à un signal donné, elles les sortirent et les allumèrent devant des journalistes et des photographes qui avaient été prévenus que des suffragettes allaient faire un coup d’éclat. Dans les jours qui suivirent, l’événement était dans tous les journaux et sur toutes les lèvres. 

Les jeunes femmes expliquèrent que ce qu’elles allumaient ainsi, c’était des «flambeaux de la liberté» (torches of freedom). On devine sans mal qui avait donné le signal de cet allumage collectif de cigarettes et qui avait inventé ce slogan ; comme on devine aussi qu’il s’agissait à chaque fois de la même personne et que c’est encore elle qui avait alerté les médias.

Le symbolisme ainsi créé rendait hautement probable que toute personne adhérant à la cause des suffragettes serait également dans la controverse qui ne manquerait pas de s’ensuivre sur la question des droits des femmes de fumer en public, du côté de ceux et de celles qui le défendaient – cette position étant justement celle que les cigarettiers souhaitaient voir se répandre. Fumer étant devenu socialement acceptable pour les femmes, les ventes de cigarettes à cette nouvelle clientèle allaient exploser.

5.Conclusion

Bien que ce livre soit à mon sens parfois un peu dépassé, il n’en reste pas moins extrêmement intéressant à remettre au goût du jour.Comme l’énonce Normand Baillargeon dans la préface, il est crucial de rappeler combien ce qui est proposé ici contredit l’idéal démocratique moderne.Cet ouvrage doit donc nous faire prendre conscience de l’importance de l’éducation populaire, de l’esprit critique et du rejet de l’ultra-consumérisme, qui sont les conditions indiscutables d’un régime plus sain.

Sylvain Gammacurta, Hypnose

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