Quand la science et la culture dansent ensemble
Du 25 au 29 septembre 2024, les villes de Fos-sur-Mer, Miramas, Istres, Grans et Port-Saint-Louis se transforment en carrefours vivants de la science et de la culture, accueillant la première édition du RDV des Lumières. L’événement, orchestré par Scènes et Cinés, promet une immersion unique et captivante, alliant arts et connaissances scientifiques. Propulsé par la curiosité, l’échange et un désir d’explorer notre humanité, ce rendez-vous audacieux interroge la place des émotions dans notre vie quotidienne.
Quelles sont les répercussions de l’esthétique sur notre cerveau ? Comment les expériences artistiques influencent-elles notre perception du monde et notre intelligence émotionnelle ? Ce sont là les mystères que cherchent à élucider les artistes, scientifiques et chercheurs invités.
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Explorer les mystères des émotions à travers la science et la culture
Pour ma part, je me suis rendu ce vendredi 27 septembre au cinéma l’Odyssée de Fos-sur-Mer pour assister à une série de trois conférences passionnantes. Je vais tenter de vous résumer et commenter ces interventions, afin de vous donner envie de participer aux prochaines éditions. Cet article a pour objectif de rendre hommage à cette initiative captivante et d’explorer les thèmes qui y ont été abordés. Étant donné que ma mémoire n’est pas infaillible, il est possible—voire inévitable—que ce texte contienne des oublis, ainsi que des enrichissements et des commentaires tirés de ma propre culture.
Qu’est-ce qu’une émotion ?
Julie Grèzes, neuroscientifique et directrice de recherche à l’Inserm et à l’École normale supérieure de Paris, a eu l’honneur d’ouvrir cette journée en nous plongeant dans l’une des questions les plus fascinantes de l’histoire de la psychologie : qu’est-ce qu’une émotion ? Comme l’a souligné Fehr et Russell en 1984, « Chacun sait ce qu’est une émotion, jusqu’à ce qu’on lui demande d’en donner une définition. À ce moment-là, il semble que plus personne ne sache. »
Dès 1884, le célèbre psychologue américain William James tentait déjà de percer ce mystère. Plus d’un siècle plus tard, malgré des décennies de recherches, la définition des émotions continue de nourrir des débats passionnés au sein de la communauté scientifique. Julie Grèzes nous invite à découvrir les points de convergence et de divergence qui animent aujourd’hui les chercheurs, tout en dévoilant les dernières avancées sur cette question en perpétuelle évolution.
Les émotions occupent une place centrale dans le fonctionnement de notre cerveau, jouant un rôle crucial dans notre système cognitif.
Malgré les divergences entre chercheurs, un consensus semble émerger quant à la fonction des émotions : elles sont avant tout une réponse adaptative du cerveau, modifiant notre perception et nos actions en fonction des situations. En effet, les émotions constituent un état affectif multidimensionnel, accompagné de manifestations physiologiques, cognitives, expressives et subjectives.
Sur le plan social, les émotions agissent comme des signaux de communication au cœur de nos interactions. L’expression faciale, comme l’a affirmé Ekman (1989), est « le pivot de la communication entre les hommes ». Une émotion se caractérise par une interruption soudaine de l’équilibre affectif. Pour des états affectifs plus durables, on parle alors de sentiments.
En d’autres termes, les émotions nous permettent d’adopter des comportements adaptés à notre environnement.
Prenons l’exemple de la peur : lorsque vous êtes confronté à un stimulus redouté (serpent, araignée, ours, patron…), cela crée dans votre cerveau un état émotionnel central engendrant divers types de réponses :
- Réponses physiologiques
- Expériences subjectives
- Changements cognitifs
- Expressions faciales
Ces réponses, permettent (généralement) une meilleure adaptation. Un concept théorique suggère que ces réponses ont deux fonctions : la première, intra-personnelle, est une régulation sensorielle. Par exemple, lorsque nous avons peur, notre expression faciale se modifie, notre regard s’élargit, ce qui augmente notre champ visuel, tandis que notre volume nasal s’accroît pour faciliter l’oxygénation. Ces régulations améliorent notre capacité à capter des informations sur notre environnement et à réagir face à un danger.
À l’inverse, le dégoût entraîne une fermeture corporelle (rétrécissement des yeux, du nez, etc.) pour minimiser le contact avec l’élément répugnant.
La seconde fonction, inter-personnelle, est acquise au cours de l’évolution et vise à communiquer. Les expressions faciales servent d’indicateurs pour déterminer l’état émotionnel des autres. Nous avons la capacité de décoder très rapidement (en moins de 200 ms) les expressions émotionnelles d’autrui. Un fait intéressant évoqué par la chercheuse : une expression émotionnelle, même si elle n’est pas perçue consciemment, influence nos choix et actions selon sa signification sociale. Ainsi, des signes de joie inciteront les observateurs à s’approcher, tandis que la colère les repoussera.
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Débat théorique : Approche catégorielle et dimensionnelle des émotions
Approche Catégorielle
L’approche catégorielle est la méthode traditionnelle de classification, visant à établir des catégories précises aux propriétés clairement définies. Cette démarche a pour objectif de déterminer la présence ou l’absence d’une émotion spécifique.
Dans cette première théorie, les émotions sont souvent classées en deux catégories : simples ou complexes. Une émotion est considérée comme simple lorsqu’elle entraîne un changement facial ou une “gestuelle universelle”. Selon Paul Ekman (1984), les émotions simples incluent la peur, la joie, la tristesse, la colère, la surprise et le dégoût.
Les émotions fondamentales, telles que la peur et la joie, possèdent des signatures physiques spécifiques, notamment au niveau du système nerveux autonome, qui régule des fonctions involontaires comme le rythme cardiaque ou la respiration. Des chercheurs comme Ekman, Levenson et Friesen (1983) ont soutenu que chaque émotion pourrait être différenciée par ses réponses corporelles. Le traitement des émotions repose sur des circuits cérébraux complexes : les yeux envoient des informations visuelles au cortex et au thalamus, qui activent deux voies distinctes. La voie ventrale identifie « quoi » est perçu (par exemple, une tasse), tandis que la voie dorsale détermine « où » se trouve l’objet et « comment » interagir avec lui (par exemple, sur la table et saisissable). Ces voies sont reliées à l’amygdale, le centre des émotions, qui joue un rôle clé dans l’évaluation des situations.
« Ces émotions, dites aussi de base ou primaires, sont considérées comme discrètes, c’est-à-dire très différentes les unes des autres, car elles auraient chacune des conditions spécifiques d’émergence et représenteraient des modèles hautement différenciés de réponses physiologiques et comportementales, génétiquement programmées et directement liées à la survie de l’espèce » (Shaver, Schwarz, Kirson, & O’Connor, 1987). En revanche, les émotions complexes sont une combinaison d’émotions simples (Ortony & Turner, 1990).
Depuis 2017, en utilisant des méthodes statistiques pour analyser les états émotionnels suscités par de courtes vidéos, Cowen et Keltner ont identifié 27 variétés d’expériences émotionnelles, parmi lesquelles : admiration, adoration, appréciation esthétique, amusement, colère, anxiété, crainte, maladresse, ennui, calme, confusion, envie, dégoût, empathie, douleur, enchantement, excitation, peur, horreur, intérêt, joie, nostalgie, soulagement, romance, tristesse, satisfaction, désir sexuel et surprise.
L’approche dimensionnelle
L’approche dimensionnelle des émotions, quant à elle, décrit celles-ci non pas en tant que catégories distinctes (comme la peur ou la joie), mais en termes de dimensions continues. Ce modèle est couramment utilisé en psychologie et en neurosciences pour mieux saisir la complexité des émotions humaines. Deux dimensions principales sont considérées : la valence et l’activation (ou arousal en anglais).
- Valence : le spectre agréable-désagréable
La dimension de la valence indique à quel point une émotion est positive ou négative, que je préfère décrire en termes d’agréable ou de désagréable. Elle peut être envisagée comme un axe allant du plaisir à l’aversion :- Valence positive : correspond aux émotions agréables telles que la joie, l’amour ou l’excitation, qui nous incitent généralement à des comportements d’approche.
- Valence négative : correspond aux émotions désagréables, comme la tristesse, la colère ou le dégoût, qui peuvent engendrer des comportements d’évitement ou de retrait.
- Activation (arousal) : le niveau d’excitation ou d’énergie
La dimension de l’activation représente le niveau d’énergie ou d’excitation physiologique généré par une émotion. Elle décrit à quel point une émotion nous rend actifs ou passifs :- Activation élevée : concerne des émotions intenses, comme la colère ou la peur, qui augmentent notre niveau d’alerte et nous préparent à agir rapidement.
- Activation faible : inclut des émotions plus calmes et reposantes, telles que la tristesse ou la détente, qui s’accompagnent d’une faible stimulation physiologique et d’une énergie réduite.
Complexité et débats
Bien que le concept d’émotion soit largement compris et partagé à travers les cultures, il demeure vague et imprécis. Au-delà des distinctions théoriques précédemment évoquées qui permettent de les décrire, ce concept complexe englobe un large éventail de significations, souvent difficiles à cerner.
Il est crucial de bien définir nos termes lorsque nous étudions les émotions, que l’on peut diviser en trois grandes catégories :
- Les activités biologiques et les processus cérébraux
- Le ressenti, c’est-à-dire la phénoménologie
- La manière dont nous en parlons, incluant notre subjectivité
Cette complexité touche à de nombreux aspects de l’expérience humaine, englobant la biologie, les relations sociales, la cognition et le comportement. C’est cette richesse qui rend leur étude à la fois fascinante et difficile : elles sont des phénomènes psychologiques et corporels, façonnés par la culture, l’individualité et les contextes dans lesquels elles se manifestent. La manière dont les émotions sont ressenties, exprimées et perçues varie considérablement d’une culture à l’autre. Les normes sociales, la religion, la spiritualité, le système éducatif et l’histoire d’une société influencent la façon dont les individus manifestent leurs émotions en public et en privé.
Un « obstacle » majeur pour les chercheurs est l’éthique et la praticité de provoquer des émotions intenses dans des conditions contrôlées, ce qui limite leur capacité à observer des différences claires et systématiques entre les émotions dans un cadre de recherche.
Le cœur du débat
Les partisans de l’universalité soutiennent que les émotions sont des réactions innées, présentes chez tous les humains, se manifestant de manière similaire à travers des expressions faciales et des réponses physiologiques identifiables.
En revanche, les constructivistes avancent que les émotions sont flexibles, façonnées par les expériences vécues et les normes culturelles, sans réponse biologique unique à chaque émotion.
Malgré les nombreuses théories et débats entourant la compréhension des émotions, il est indéniable qu’elles influencent profondément nos décisions, souvent de façon inconsciente, en modulant notre perception et nos interactions avec le monde. Mais comment l’art, en particulier le cinéma et le théâtre, agit-il sur nos émotions ? Et comment ces formes d’expression sont-elles utilisées par les chercheurs pour explorer plus en profondeur les mécanismes émotionnels et enrichir notre compréhension de ce phénomène complexe ?
Théâtre et cinéma : des laboratoires d’émotions partagées
Cinéma : Outil d’investigation des émotions
À la croisée de l’art et des sciences cognitives, Victor Chung, doctorant au Département d’études cognitives de l’École normale supérieure, nous révèle un aspect surprenant de la recherche scientifique : le cinéma comme outil d’investigation des émotions. Depuis plusieurs décennies, les films ont intégré les laboratoires de psychologie et de neurosciences, devenant des instruments essentiels pour étudier les émotions humaines. À travers des extraits vidéo soigneusement sélectionnés, Victor Chung nous entraîne dans une exploration fascinante de l’émotion collective : comment se manifeste-t-elle dans une salle de cinéma ? Comment ces émotions partagées façonnent-elles notre rapport aux autres, au sein du groupe, et même au-delà des murs d’une salle obscure ? Plongeons dans cette immersion émotionnelle, à la fois mystérieuse et omniprésente dans notre quotidien.
« Dans mes recherches supervisées par Julie Grèzes et Elisabeth Pacherie (Institut Jean-Nicod), nous montrons de courts extraits de films destinés à susciter différentes émotions, puis nous mesurons leurs manifestations physiologiques (par exemple, les battements du cœur) et interrogeons les individus sur leur ressenti. Cela nous permet de mieux comprendre comment ces différentes facettes de l’émotion varient à la fois au sein de chaque individu et à l’échelle du groupe. »
L’art, et plus particulièrement le cinéma, exerce un impact puissant sur notre cerveau, tant à un niveau individuel que collectif. Cette recherche montre que le cinéma peut agir comme un catalyseur, permettant aux spectateurs de partager des expériences émotionnelles communes. Cela se traduit par des réactions synchronisées dans des régions cérébrales impliquées dans l’émotion et la cognition sociale, ainsi que par des états physiologiques communs (comme la conduction cutanée, etc.).
Les images, les sons, les mouvements de caméra et les scènes dramatiques déclenchent des réactions émotionnelles et physiologiques souvent partagées par les spectateurs. Ce phénomène d’émotion collective permet aux individus de ressentir simultanément des émotions similaires, renforçant ainsi le sentiment d’appartenance à un groupe.
Parmi les nombreuses expériences captivantes présentées, Victor Chung évoque celle menée par Alan J. Fridlund en 1991, publiée dans le Journal of Personality and Social Psychology.
Expérience de Fridlund :
L’équipe de recherche a examiné la façon dont les expressions faciales humaines, souvent associées aux émotions, sont influencées par des contextes sociaux. Cette étude est particulièrement significative car elle remet en question l’idée selon laquelle les expressions faciales seraient des réponses automatiques et innées aux émotions internes, comme le soutiennent des théoriciens tels que Paul Ekman.
Objectif de l’expérience : Fridlund souhaitait explorer si les expressions faciales étaient simplement des reflets d’émotions internes ou si elles étaient modulées par la présence et les attentes sociales. En d’autres termes, il s’agissait de déterminer si ces expressions étaient davantage un moyen de communication sociale qu’une manifestation automatique d’un état émotionnel.
Méthodologie : Dans cette expérience, les participants étaient exposés à des vidéos humoristiques (conçues pour susciter rires et sourires) dans différents contextes sociaux :
- Seuls (regardant la vidéo en solitaire).
- Accompagnés physiquement (regardant la vidéo avec une autre personne présente).
- Accompagnés à distance (croyant qu’une autre personne regardait la même vidéo ailleurs, mais en sachant qu’ils étaient connectés par un moyen de communication).
Pendant l’expérience, les expressions faciales des participants étaient mesurées, notamment les sourires et les rires, à l’aide d’enregistrements vidéo et d’autres dispositifs.
Résultats principaux : Les résultats ont révélé que les expressions faciales, telles que le sourire, étaient beaucoup plus fréquentes et prononcées lorsque les participants savaient qu’ils étaient observés ou en présence d’un autre individu, même si celui-ci n’était pas physiquement présent. Même en pensant être simplement observés à distance, les participants souriaient davantage que lorsqu’ils étaient seuls. Ces résultats suggèrent que les expressions faciales ne sont pas uniquement la conséquence de ressentis émotionnels internes, mais qu’elles sont influencées par la dynamique sociale et l’anticipation d’une interaction avec autrui.
Synchronisation et contagion
Victor Chung, dans ses recherches sur l’émotion collective, montre que le cinéma peut amplifier cette synchronisation émotionnelle à travers des mécanismes de cognition sociale. En exposant les spectateurs à des stimuli sensoriels intenses et à des récits engageants, le cinéma agit sur notre cortex préfrontal, renforçant notre capacité à anticiper et comprendre les émotions des autres, tout en augmentant la connexion entre les individus dans un cadre collectif. De nombreuses expériences démontrent que les réponses émotionnelles et comportementales peuvent se propager rapidement au sein d’un groupe, créant une forme de synchronie (synchronie cutanée et faciale) dans notre fonctionnement, renforcée par un sentiment réciproque de connexion entre les participants ainsi qu’une identification de groupe et un désir d’interaction.
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En somme, le cinéma n’est pas seulement une source de divertissement, mais un puissant outil d’exploration émotionnelle, capable d’agir sur notre cerveau en synchronisant nos réactions et en renforçant notre compréhension collective des émotions.
Le Théâtre : Lieu d’expérimentation des sciences cognitives
Ondine Simonot Béranger, doctorante au Département d’études cognitives de l’École normale supérieure, prolonge cette réflexion en se tournant vers un art ancestral et finalement peu étudié : le théâtre. Depuis l’Antiquité, cet art a réuni des foules, créant une rencontre unique entre acteurs et spectateurs le temps d’une représentation. Le théâtre est un puissant catalyseur d’émotions, une expérience sociale et esthétique qui réveille les sentiments les plus profonds et invite à l’introspection. C’est dans ce cadre que le théâtre devient, pour reprendre les mots d’Antoine Vitez, un véritable « laboratoire des conditions humaines ».
Le théâtre est un art, dont toute l’ambition semble se limiter à être le laboratoire des conditions humaines. Antoine Vitez
En convoquant le théâtre, Ondine Simonot Béranger éclaire sous un angle nouveau les nombreuses questions que les sciences cognitives se posent aujourd’hui, en explorant les résonances émotionnelles que cette forme d’art suscite en nous.
Elle nous invite tout d’abord à nous interroger sur ce qu’est le théâtre et sa véritable fonction :
L’étymologie du mot « Théâtre » Vient du grec « theatron » et du latin « theatrum ». Ce terme signifie “théâtre, lieu de représentation” et dérive du verbe grec « theaomai », signifiant “regarder, contempler”. C’est également un édifice où se donnent des spectacles… Un spectacle est donc ce qui attire le regard et l’attention.
À la différence du cinéma, le théâtre est un spectacle vivant, un événement collectif impliquant une co-présence spatiale entre deux groupes d’individus (acteurs et spectateurs). Le théâtre représente ainsi un espace unique où acteurs et spectateurs partagent une expérience émotionnelle intense. En reprenant l’idée d’Antoine Vitez, qui voyait le théâtre comme un « laboratoire des conditions humaines », elle s’intéresse à la manière dont les émotions sont non seulement ressenties mais aussi mises en scène et partagées collectivement.
Ses travaux visent à comprendre comment l’esthétique théâtrale influence notre cognition. Le théâtre, en mettant en scène des situations complexes et émotionnellement riches, permet d’explorer les mécanismes cognitifs sous-jacents à la perception et à l’interprétation des émotions. Une grande partie de ses recherches se concentre sur l’idée que les émotions théâtrales ne sont pas seulement individuelles, mais souvent collectives, créant, comme le cinéma, une synchronisation émotionnelle parmi les spectateurs. Elle examine comment ce phénomène contribue à renforcer les liens sociaux et à façonner notre intelligence émotionnelle en groupe. La chercheuse tente alors de mettre en évidence et de décrire comment un public engagé accède à ce que l’on nomme une effervescence collective (état émotionnel partagé de haute intensité, cf : Rimé et Paez, 2023) par un sentiment de connexion émotionnelle couplé à un sentiment de “sacré” de l’événement. Les résultats semblent démontrer que l’effervescence collective est le meilleur prédicteur de l’appréciation du spectacle.
Ondine Simonot Béranger illustre brillamment que le théâtre peut être un outil précieux pour les sciences cognitives, offrant une expérience vécue qui enrichit notre compréhension des émotions humaines dans un contexte social et interactif.
Conclusion
À l’intersection du cinéma, du théâtre et des neurosciences, ces chercheurs et chercheuses nous offrent une perspective éclairante sur l’émotion humaine. Par leur travail, ils nous rappellent avec force que la compréhension de nos émotions est indissociable de notre nature sociale et sensible. Cette série de conférences met en lumière l’urgence d’intégrer la culture dans nos vies : un impératif vital pour nourrir notre âme. Qu’il s’agisse de cinéma, de théâtre ou d’autres formes d’art, la culture agit comme un phare, illuminant les recoins sombres de notre esprit et enrichissant tant notre psychologie individuelle que notre conscience collective.
En nous immergeant dans ces œuvres, nous découvrons des récits qui résonnent avec nos expériences personnelles, nous permettant ainsi d’affiner notre compréhension de nous-mêmes et des autres. L’art devient alors un miroir révélateur, reflétant nos peurs, nos espoirs et nos contradictions. Et lorsque ce miroir est partagé, il forge des liens au sein de la communauté, créant une expérience d’humanité commune.
Cependant, réduire la culture à une simple forme de divertissement serait selon moi une bien triste méprise. Elle constitue également un puissant levier de connaissance. Le dialogue entre art et science, entre émotion et cognition, est ainsi essentiel. Lorsque l’art embrasse les sciences cognitives et que les neurosciences se tournent vers les œuvres artistiques, un nouveau champ d’exploration s’ouvre, dévoilant les mécanismes complexes qui régissent nos émotions, nos choix et nos interactions sociales. Ces croisements disciplinaires nous offrent non seulement une meilleure compréhension de la condition humaine, mais aussi la possibilité de réinventer notre perception de la réalité et du vivre ensemble.
Il est donc impératif d’assurer l’accès à la culture pour tous, de multiplier ces ponts entre les disciplines et de soutenir les initiatives audacieuses et créatives qui enrichissent notre vision du monde. C’est ainsi que nous approfondissons notre compréhension de ce que signifie être humain, dans toute la richesse et la diversité de notre expérience.
Sylvain Gammacurta