Le cerveau humain est capable de « voyager dans le temps » grâce aux « cellules temporelles ».
Une étude réalisée par une équipe de recherche française et néerlandaise, publiée le 28 juin 2021 dans le Journal of Neuroscience*, nous en apprend davantage sur les mécanismes par lesquels le cerveau traite l’ordre temporel et stocke les souvenirs épisodiques. Ces recherches sont d’une grande richesse en ce qui concerne la façon dont les souvenirs sont codés dans le cerveau et ce que nous pouvons en faire grâce à l’hypnose.
Hypnose et voyage temporel
Qui n’a jamais rêvé de voyager dans le temps afin de modifier le cours des événements ? Cela n’est pas sans rappeler ce film « l’effet papillon » où le personnage principal voyage dans ses souvenirs afin de modifier le cours de son existence. Et si finalement la science-fiction n’était pas éloignée de la réalité ? Et si l’hypnose permettait parfois de donner un sens différent au passé afin de modifier l’avenir ? Je vous explique tout ici !
L’expérience de la mémoire
La mémoire se compose de 5 systèmes interconnectés, impliquant des réseaux neuronaux distincts :
- La mémoire de travail (à court terme) est au cœur du réseau.
- La mémoire sémantique et la mémoire épisodique sont deux systèmes de représentation consciente à long terme.
- La mémoire procédurale permet des automatismes inconscients.
- La mémoire perceptive est liée aux différentes modalités sensorielles.
Il existe plusieurs zones du cerveau impliquées dans le traitement et la conservation des informations :
– la mémoire à court terme fait intervenir le cortex préfrontal,
– la mémoire sémantique met en jeu le néocortex,
– les corps striés et le cervelet sont très impliqués dans la mémoire procédurale,
– l’hippocampe est également sollicité par la mémoire épisodique (en même temps que le thalamus et le cortex préfrontal).
Le rôle principal dans la mémoire est tenu par l’hippocampe, son intervention est nécessaire pour faire passer les souvenirs de la mémoire à court terme vers la mémoire à long terme.
La mémoire épisodique permet de se souvenir des événements, des noms, des dates et des lieux qui nous sont propres. Elle est très liée au contexte affectif et celui des moments personnellement vécus (événements autobiographiques), c’est elle qui nous permet de nous situer dans le temps et l’espace et, ainsi, de se projeter dans le futur. En effet, raconter un souvenir de ses dernières vacances ou se projeter dans les prochaines font appel aux mêmes circuits cérébraux.
La mémoire épisodique (constituée entre les âges de 3 et 5 ans) est étroitement imbriquée avec la mémoire sémantique. Progressivement, les détails précis de ces souvenirs se perdent tandis que les traits communs à différents événements vécus favorisent leur amalgame et deviennent progressivement des connaissances tirées de leur contexte.
Ainsi, la plupart des souvenirs épisodiques se transforment, à terme, en connaissances générales qui justifient nos croyances sur nous-même ou le monde qui nous entoure.
La mémoire sémantique quant à elle concerne les concepts, le sens des mots et des symboles, et il existe également une mémoire qui concerne la forme des mots, les prononciations… c’est la mémoire lexicale. La mémoire sémantique et la mémoire lexicale sont regroupées sous le terme « mémoire verbale ».
Quand nous nous remémorons des événements passés, nous sommes capables de revivre mentalement plus ou moins facilement l’expérience dans l’ordre dans lequel elle s’est déroulée. Ceci constitue une action qui semble simpliste mais qui reste aujourd’hui, comme bons nombres de capacités de notre cerveau, un mystère pour la science.
La manière dont notre cerveau enregistre et rejoue des événements dans l’ordre temporel est en effet une des grandes interrogations des neurosciences cognitives. Une équipe de recherches s’est alors penchée sur les mécanismes par lesquels le cerveau traite l’ordre temporel et stocke les souvenirs épisodiques et elle est arrivée à la conclusion que les neurones hippocampiques, nos «cellules temporelles» situées dans la zone du souvenir, continuent de fonctionner même lorsqu’ils ne sont pas stimulés.
Le cerveau explore donc notre mémoire, et le temps, de manière inconsciente ou plus précisément de manière indépendante et spontanée.
Pour la neuroscientifique principale de l’étude, Leila Reddy, les résultats prouvent la capacité du cerveau à «voyager mentalement dans le temps». Ce qui explique beaucoup d’expériences de retraitements émotionnels et interprétatifs lors d’une transe hypnotique réalisée par « souvenirs hypnotiques ».
« De même que nous recevons l’idée d’espace de la disposition des objets visibles et tangibles, de même nous formons l’idée de temps de la succession des idées et des impressions ; et il est impossible que le temps puisse jamais se présenter ou que l’esprit le perçoive isolément. »
David Hume, (1711-1776), extrait de son Traité de la nature humaine (1739-1740)
Article associé : https://gammacoachinghypnose.com/hypnose-passe-present-et-futur
Une expérience réalisée grâce à des patients souffrant de crises d’épilepsie
La neuroscientifique et son équipe ont étudié le cerveau de personnes épileptiques, qui ont besoin d’implants d’électrodes dans le cerveau. «Ces patients ont des crises d’épilepsie sévères et sont en attente d’une opération, a expliqué la chercheuse à Vice. Une partie de la procédure pré-chirurgicale nécessite des implants d’électrodes dans le cerveau pour surveiller l’activité épileptique. Une fois que les électrodes ont été insérées, nous avons demandé aux patients s’ils voulaient bien participer à une courte expérience, et nous avons pu enregistrer l’activité cérébrale en testant différentes hypothèses.»
Leila Reddy et ses collègues ont demandé à un premier groupe de participants de mémoriser une courte séquence visuelle avec plusieurs images. L’expérience était interrompue aléatoirement avec la consigne de se rappeler de l’image qui suivait. Un deuxième groupe a visionné les mêmes images, mais quand la séquence a été interrompue, l’équipe de recherche n’a donné aucune indication. Pourtant, les neurones hippocampiques traitaient toujours l’expérience temporelle pendant ces brèves pauses, malgré l’absence de stimuli.
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Les «cellules temporelles» continuent donc de fonctionner pendant les périodes d’inactivité. Les scientifiques ont également constaté que ces neurones sont activés à des moments précis, y compris en l’absence de stimuli externes, ce qui suggère qu’ils répondent à des séquences internes.
L’étude montre ainsi que le cerveau possède «une représentation d’un flux interne ou inhérent de temps, qui n’est pas déterminé par quelque chose qui se passe dans le monde extérieur» précise Leila Reddy.
Le rôle des émotions
Les émotions augmentent la mémorisation d’un événement car elles jouent un rôle important dans l’adaptation de l’individu à son environnement. Les émotions sont des réactions spontanées de l’organisme qui lui permettent de fournir des réponses réflexes face à des situations représentant un enjeu critique pour la survie ou plus simplement le bien-être de l’individu.
Il est donc crucial pour l’individu de mémoriser les expériences ayant provoqué des émotions pour favoriser l’efficacité de son adaptation ultérieure. Nous sommes donc plus attentifs, plus sensibles aux événements ayant un impact émotionnel. Certains événements peuvent même entraîner des souvenirs indélébiles.
Ainsi, il est fort probable que vous vous souveniez exactement où et avec qui vous étiez au moment où ont été diffusées les images de l’attentat du 11 septembre 2001 ou encore lors d’un événement personnel riche en charge émotionnelle.
De manière expérimentale, on peut tester cet effet de l’émotion sur la mémoire en utilisant des mots connotés de façon « positive » (« amis, fête, rire, vacances…»), « négative » (« mort, accident, maladie… ») et neutres, et les résultats montrent que nous retenons mieux les mots à connotation émotionnelle (+ ou -) que les mots à connotation neutre.
Dans le cerveau, l’amygdale située en avant de l’hippocampe, joue un rôle essentiel dans cet effet des émotions sur la mémoire en permettant d’associer une émotion à un événement particulier..
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Les faux souvenirs
Longtemps la mémoire humaine a été considérée comme une fonction fiable et assimilée à un système de stockage passif au sein duquel seraient disposés l’ensemble des souvenirs et des connaissances**.
On sait aujourd’hui que les souvenirs contenus en mémoire ne sont pas un reflet fidèle de la réalité des événements que nous avons vécus. Notre mémoire est subjective et nos souvenirs dépendent de notre perception et interprétation de la réalité ainsi que de nos connaissances et de nos expériences.
La notion de mémoire constructive propose ainsi que nos souvenirs ne soient pas des enregistrements exacts ou des « copies » conformes aux événements vécus, mais des reconstructions sous l’influence de divers facteurs tels que nos connaissances, nos attentes et croyances ou encore nos buts. L’acquisition d’informations n’est donc pas simplement une réception sensorielle d’informations établie de manière passive, mais implique aussi l’élaboration d’une représentation abstraite et cohérente prenant en compte l’ensemble des informations présentées et intégrées aux connaissances acquises.
Pour aller plus loin avec ce principe de constructivisme : https://gammacoachinghypnose.com/hypnose-hypnologie-philosophie-et-strategies
Ainsi, on parle de « faux souvenirs » pour qualifier les réminiscences que nous croyons avoir d’événements qui n’ont jamais eu lieu ou d’informations que nous n’avons jamais entendues ou vues. Le paradigme du DRM (Deese-Roediger-McDermott, 1995) est utilisé en laboratoire pour illustrer ce phénomène d’intrusions (ou illusions de mémoire).
Développé par Deese (1959) et popularisé par Roediger et McDermott (1995), le paradigme DRM (pour Deese-Roediger-McDermott) consiste à demander aux sujets d’étudier des listes des mots conçues chacune de la manière suivante : chacun des mots d’une liste (repos, sieste, lit…) est associé à un autre mot appelé leurre critique, qui n’est pas présenté (sommeil). Les résultats montrent que les sujets peuvent rappeler ou reconnaître de façon erronée et à des taux élevés les leurres critiques en raison des liens sémantiques qu’ils partagent avec les mots étudiés.
En hypnose, lorsque l’on part explorer son « passé », qui n’est finalement qu’une représentation imaginaire et interprétative de celui-ci, l’expérience vécue grâce à certains bais d’attention, de saturation, d’ancrage, d’utilisation d’émotion etc… aide à remanier, moduler, nuancer, dissocier le discours biographique fin de modifier activement la manière de vivre au présent et dans le futur… Le sens des événements peut alors être complètement modifié…
« Dans toute oeuvre d’imagination, il y a un récit de soi. Dans toute autobiographie, il y a un remaniement imaginaire. »
Sauve-toi, la vie t’appelle (2012) de Boris Cyrulnik
Pour les intéressés, voici un exemple de régression hypnotique (légère transe) proposé par Kevin Finel :
Texte de David Hume, (1711-1776), extrait de son Traité de la nature humaine (1739-1740)
« De même que nous recevons l’idée d’espace de la disposition des objets visibles et tangibles, de même nous formons l’idée de temps de la succession des idées et des impressions ; et il est impossible que le temps puisse jamais se présenter ou que l’esprit le perçoive isolément. »
Sources :
*https://www.jneurosci.org/content/early/2021/06/18/JNEUROSCI.3157-20.2021
**Koriat & Goldsmith, 1996
https://theconversation.com/les-secrets-de-la-memoire-episodique-voyage-au-coeur-de-vous-meme-103400
Publication Harvard Medical School
Roediger & McDermott, 1995 ; Roediger, 1996 ; pour revues, Schacter et al., 1998a ; Koriat et al., 2000
Sylvain Gammacurta, Hypnose.