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Le cinéma intérieur : projection privée au coeur de la conscience

Le cinéma intérieur, publié en 2020 au édition Odile Jacob, écrit par Lionel Naccache.

Nous ne cessons de produire, irrépressiblement, des significations à tout ce que nous sommes en train de vivre. Des significations auxquelles il est ainsi légitime de donner le nom de fiction, non pas pour signer leur caractère illusoire ou incorrect mais pour rappeler leur dimension subjective.

Exact ou non, ces significations font sens à nos yeux. 

L’auteur, neurologue, chercheur en neurosciences et professeur de médecine à la Sorbonne, télescope brillamment les rouages du septième art avec nos perceptions étant inférées, indirectes et reconstruites.

Ces fictions souvent très sophistiquées, qui sont les véritables hôtes de notre esprit, ne surgissent pas ex nihilo dans une sorte d’éther de la conscience, mais elles se construisent, à chaque instant, dès les premières étapes de notre perception. Ces actes perceptifs, initialement inconscients, sont les lieux où naissent inlassablement nos premières fictions. Des fictions primaires qui vont mûrir puis engendrer à leur tour des fictions plus complexes.

Il existe ainsi en nous une sorte de mise en scène ,comparable à un cinéma intérieur qui s’apparente au cinéma des salles obscures par de très surprenantes similitudes. 

L’auteur a donc développé une théorie de la subjectivité qui accorde une place centrale à séduction qu’il a qualifié de “fictions interprétations croyances” (FIC) La conscience est donc une farandole ininterrompue de FIC, dont la plupart des ressorts demeurent inconscient, et donc peu accessible à notre introspection. Notre lancinant désir socratique d’apprendre à nous connaître nous-mêmes rencontre ici une nouvelle et précieuse leçon de lucidité et d’humilité.

Le cinéma intérieur
Le cinéma intérieur

La perception du mouvement 

13 images par seconde, c’est en moyenne le nombre d’images que nous sommes capables de percevoir.

En 1912 le psychologue Max Wertheimer publia un prodigieux mémoire intitulé étude expérimentale sur la perception du mouvement dans lequel il rapportait la découverte de ce qu’on appelle depuis le phénomène Phi

À partir d’une certaine vitesse, notre esprit invente un mouvement possible qui relierait deux images fixes successives pour en faire un film continu.

Autrement dit, entre deux images présentées, notre cerveau  s’est fait son cinéma et à chercher à deviner les mouvements de l’objet dont il n’a pas pu en fait capturer la position de départ et la position d’arrivée, c’est en quelque sorte un travail de divination. 

Nous percevons donc le monde à travers une suite d’instantanés capturés par notre cerveau visuel chaque dixième de seconde, et ces images fixes sont très rapidement monter en un film continu par un mécanisme de remplissage ou plutôt d’invention (grâce à la région V5 ou temporal moyenne).

L’effet phi représente la sensation visuelle de mouvement provoquée par l’apparition d’images perçues successives, susceptibles d’être raccordées logiquement par un déplacement ou une transformation. 

En somme, le cerveau comble l’absence de transition avec celle qui lui semble la plus vraisemblable. 

Au cinéma intérieur, nous sommes les auteurs du film que nous percevons. Nous sommes aussi la caméra, le projecteur, le spectateur mais également le personnage principal.Cette capacité combine des facettes conscientes et des facettes inconscientes de notre vie mentale. 

A partir de l’approche mathématique fondée sur la distinction entre ensembles discrets et ensembles continus, l’auteur explique comment nous passons d’un élément qui fait partie d’un ensemble discret, donc séparé des autres éléments par des frontières tranchées à un ensemble continu.

La perception de la couleur

Sans rentrer dans les détails du fonctionnement oculaire expliqué par l’auteur de l’ouvrage, certain récépteurs qui composent notre oeil (à savoir les batonnets) ne sont pas sensibles à l’information lumineuse de couleurs, ils codent les images en noir et blanc et nuance de gris. 

En l’occurrence, si notre cinéma interieur se limitait à recevoir passivement les image en provenance des rétines, nous devrions percevoir le monde en couleur uniquement au niveau de notre point de fixation (grace aux cônes) et tout le reste de scéne principalement en noir et blanc.

Ce processus de colorisation passe par deux effets combinés

  • La mémorisation des couleurs déjà entrées dans notre champ visuel
  • Un remplissage déductif

Afin de démontrer ses propos, Lionel Naccache présente plusieurs illusions d’optique dont celle de l’échiquier d’Adelson que vous trouverez ci dessous : 

Dans cet exemple nous percevons tous la case A comme authentiquement plus sombre que la classe B alors qu’elles ne sont en fait dessinées que d’une seule et même nuance grise. 

Vous pouvez également consulter cette vidéo, qui démontre la manière dont le cerveau peut effacer ce qui lui semble pas être pertinent, pour ce faire fixer sans bouger le point central et voyez comment les autres points disparaissent : 

Optical Illusion – The Disappearance Of The Yellow Dots

Principe de la copie efférente 

Chaque fois que nous nourrissons l’intention d’effectuer un mouvement, un réseau cérébral spécialisé envoie non pas un jeu d’instruction, mais deux.

Il envoie à la fois des instructions précises aux régions motrices de notre cerveau, mais également “une copie” de ces mêmes instructions à un autre réseau qui va alors pouvoir simuler les conséquences à venir de ces instructions, et donc calculer en temps réel la manière dont l’action en cours de réalisation va affecter notre perception.

Ce principe est clé dans notre aptitude à se considérer comme l’acteur de ses propres actions

Contrairement à la notion de libre arbitre, ce que l’on appelle ici l’agentivité, est de ce fait plus accessible. Se sentir subjectivement agent causal de nos gestes, de nos actions et de nos pensées est une condition essentielle à la conscience de soi. Contrairement à notre intuition immédiate, notre perception du monde ne dépend donc pas uniquement de ce qui s’offre à notre regard mais également des artifices de notre cinéma intérieur.

Article connexe avec ces notions : https://gammacoachinghypnose.com/comment-notre-cerveau-donne-du-sens-au-monde

Le deuxième type de cinéma intérieur : l’imagination, la rêverie, le rêve.

Plutôt que d’ouvrir nos yeux sur le monde qui nous entoure, il est également possible de les fermer afin de laisser s’épanouir tous ces autres films que nous avons la possibilité de “visionner” .

Malgré la difficulté à étudier de manière expérimentale l’imagination visuelle, les neurosciences sont néanmoins parvenues à collecter de nombreuses informations.

Ce cinéma intérieur qui fonctionne donc sur un mode d’inception plutôt que de perception

Les célèbres expériences de Cheves Perky ont démontré comment les entrées sensorielles, ou perceptions, peuvent être confondues avec une image mentale lorsque les processus perceptifs et l’imagerie mentale interfèrent les uns avec les autres. Connues aujourd’hui sous le nom “d’effet Perky”, ses recherches décrivent le résultat obtenu lorsque la perception visuelle d’un sujet est modifiée par l’imagerie mentale.

“Cheves Perky a entraîné ses participants à regarder un écran vide et à essayer d’imaginer un objet tel qu’une banane. Elle a ensuite demandé à ses participants de fixer un point sur un écran devant eux et d’y visualiser divers objets, tels qu’une tomate, un livre, une feuille, une banane, une orange ou un citron. Pendant que les sujets faisaient cela, et à leur insu, une faible tache de couleur, d’une taille et d’une forme appropriées, et juste au-dessus du seuil normal de visibilité, était rétroprojetée (en flou) sur l’écran. Les participants, croyant qu’ils visualisaient un objet de leur choix, ont généralement signalé un objet correspondant à la forme et aux couleurs des formes projetées.”

+ d’infos sur l’effet Perky : https://fr.wikipedia.org/wiki/Projet:Les_Mille_Pages/Cheves_Perky

Par la suite, les recherches expérimentales sur ce sujet se sont accumulées et l’auteur nous explique grâce à l’IRM fonctionnelle que l’imagination mobilise le même réseau cérébrale que la perception.

Le prolongement de ces travaux a permis d’affiner plus encore plus cette relation de parenté entre perception et imagination.

Plusieurs études d’imagerie dite “inverse”, dans lesquelles ont parvient à deviner ce que le sujet imagine à partir de son activité cérébrale, confirme souvent d’une manière stupéfiante l’étroite similarité qui existent entre les configurations neuronales activées lors de la perception et celle qui sont mobilisées lors de l’imagination.

La grande illusion 

Nous pensons donc percevoir directement ce qui est là dehors, à portée de main et de regard, sans avoir connaissance de tous ces processus complexes et inventifs qui co-produisent, avec ses objets du monde qui nous font face, notre perception visuelle (pour ne citer qu’elle).

Ceci nous renvoie directement à la distinction Kantienne fondatrice entre la noumène (la chose en soi) et le phénomène qui correspond à l’expérience que je peux en avoir

Si nous n’avons donc pas véritablement conscience de notre cinéma intérieur qui participe à la production de notre perception, la seconde illusion réside dans le fait que nous avons l’intime conviction de voir TOUT ce qu’il y a devant nous. 

L’auteur appelle cette illusion, l’illusion de complétude visuelle.

En réalité, ce dont nous prenons conscience ne constitue qu’une infime partie de la totalité de la scène visuelle imprimée sur nos rétines.

Ce principe est bien connu et exploité par les prestidigitateurs et pickpockets, notre attention est orientée vers une partie ou vers certains éléments de la scène, ce qui permet alors de nous rendre aveugle à d’autres objets ou à des actions qui s’imprime certes d’une sur nos rétine, mais qui ne sont pourtant pas intégrés à notre film subjectif.

Notre posture consciente influence les processus perceptifs inconscients 

La plupart des processus qui forment notre cinéma intérieur sont donc des processus inconscients. Néanmoins, selon que nous faisions attention à tel ou tel objet, le montage du film intérieur ne sera pas le même. 

Pour le dire autrement, nombre des processus inconscients sont influencés par ce que nous avons à l’esprit consciemment. 

La grande illusion de notre cinéma intérieur réside dans le fait qu’à chaque instant nous inventons à notre insu de quoi est constitué l’ensemble de ce qui est face à nous sur la base de ce dont nous avons effectivement pris conscience et sur celle de nos connaissances. 

Nous inventons ce dont nous n’avons pas conscience et croyons ainsi tout voir. 

L’auteur, dans l’optique d’illustrer ses propos, s’appuie sur l‘expérience de Sperling, expérience que vous pouvez approfondir via ce lien : https://www.youtube.com/watch?v=nWE_ChB785o

Par le biais de cette expérience nous avons donc accès à l’identité précise de 4 ou 5 lettres (en moyenne) auxquelles nous avons réellement accédé, mais aussi de la forme globale du tableau et également la croyance que chacun des éléments du tableau est une lettre

Cette fiction-interprétation-croyance perceptive est d’ailleurs vérifiée par nos actions, renforçant nos convictions d’avoir tout vu malgré le fait que nous inventons en permanence. 

Le plus souvent ces inventions sont d’ailleurs de forts raisonnables paris sur ce que doit effectivement être ce que nous n’avons pas vu. Et comme ces paris s’avèrent la plupart du temps assez fidèles à la réalité (car nourris de données objectives et d’inférences), nous croyons voir le monde sans avoir conscience de l’inventer partiellement. Ces inventions n’apparaissent comme fictives que lorsqu’elles entrent en contradiction flagrante avec la réalité extérieure, comme dans certaines expériences détaillées tout au cours du livre.

Il importe de garder à l’esprit que, même lorsqu’elles se font discrètes et fidèles à la réalité extérieure, elle n’en demeure pas moins des œuvres de fiction, c’est-à-dire des interprétations actives du monde que nous observons. 

Le sens que nous donnons au monde 

Chaque élément de notre film subjectif nous apparaît immédiatement comme faisant sens à nos propre yeux, affublé d’une évidence signification

Afin d’illustrer cette idée l’auteur s’appuie sur la fameuse “Heider Simmel video” que vous pouvez visionner ci-dessous : 

Heider and Simmel (1944) animation

Malgré la pauvreté de cette animation, quelques secondes suffisent à peine pour que vous  perceviez une  véritable histoire. Le couple formé par le petit disque et le petit triangle est agressé par le méchant et violent grand triangle. Cela prouve qu’une histoire se crée en nous avec la même aisance que tout le reste de notre perception. Ce qui est ici très pur dans le film de Heider et Simmel, c’est que les données intrinsèques de leur dessin animé sont si ténus et si pauvres qu’il est alors aisé de comprendre que notre cinéma intérieur joue un rôle déterminant dans la scénarisation de ce film. 

Nous ne cessons d’interpréter les choses que nous percevons et de leur assigner des identités, des significations, et la première couche de cette production de sens opère à notre insu et en amont de notre prise de conscience. 

Nous produisons du sens comme nous pouvons, correct ou non, adapté ou non, mais du sens à tout prix.

Nous le produisons inconsciemment puis consciemment et dans une farandole d’aller-retour entre ces deux pôles de notre esprit. 

Le JE n’échappe pas à la règle

Au fil des pages, en observant toutes les impressions illusoires, on comprend aisément qu’elles n’ont rien d’évident et qu’elles sont le produit de nos mécanismes intérieurs.

La manière dont j’ai conscience d’être là où je crois être n’est pas une donnée objective, les expériences de Stratton puis de Ehrsson démontrent cette thèse de manière brillante, le “JE” n’échappe pas à la règle du jeu.

“Expérience de Henrik Ehrsson : Le volontaire est assis sur une chaise et porte des lunettes de réalité virtuelle sur lesquelles sont retransmises les images captées par deux caméras placées 2 mètres derrière lui, et filmant ce qu’il y a devant lui. Quand Henrik Ehrsson touche le buste du sujet avec une baguette et approche simultanément une autre baguette des caméras, le volontaire dit avoir la sensation de se retrouver assis 2 mètres en arrière… «Le cerveau utilise une multitude d’informations sensorielles pour localiser le plus rapidement possible son corps, relève Henrik Ehrsson. C’est une question de survie. Et dans cette affaire, la vision joue un rôle primordial.» «Il faut que ce que je vois corresponde à ce que je ressens», explique le chercheur qui avoue «avoir été surpris par la vitesse avec laquelle le cerveau s’habitue à son nouveau corps.»”

Si “Je” n’échappe pas au cinéma intérieur, il lui imprime néanmoins toute sa puissance subjective : nos croyances, nos connaissances, nos intentions, notre attention, nos désirs, nos souvenirs, nos regrets, nos complexes, nos émotions, notre niveau d’éveil, notre motivation, notre humeur, nos peurs, nos espoirs…qui détermine à chaque instant le contenu subjectif de ce film unique. 

A l’échelle de la population mondiale, il faut imaginer, à chaque instant, la coexistence de ces milliards de cinéma intérieur qui tournent en permanence, et dans lesquels chacun est le centre de la trame narrative. 

Ces fictions n’en sont pas moins entrelacées et enchâssées les unes dans les autres car nous interagissons avec nos congénères et intégrons certains pans de leur propre fiction aux nôtres. 

Il importe d’être lucide du fait que nos références culturelles, les mots que nous utilisons pour nous exprimer et penser, sont eux aussi les vestiges de cinémas intérieurs disparus. 

Cette coexistence de nos cinémas intérieurs respectifs est également une voix de tolérance : prendre conscience de la manière dont nous nous percevons et dont nous percevons le monde conduit à comprendre plus facilement que les autres le perçoive autrement.”

Conclusion 

Un livre que je conseille volontiers à tous les passionnés et curieux en quête d’en apprendre davantage sur la manière dont notre cerveau nous joue des tours.Cet essai est très bien écrit en plus d’être largement documenté.Vous y découvrirez ou re-découvirez de nombreuses expériences à réaliser afin de bien comprendre les thèses avancés par l’auteur.

Bien que cela ne soit pas explicité au cours des pages, cet ouvrage fait sens afin de bien comprendre ce qui se joue en partie lors d’une séance de psychothérapie ou d’hypnose et donc à remanier notre vision du monde et de nous-même. 

Vous procurer ce livre :

https://www.odilejacob.fr/catalogue/neurosciences/cinema-interieur_9782738153470.php

Le nouveau livre de Lionel Naccache : Apologie de la discrétion :

https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences/neurosciences/apologie-de-la-discretion_9782415002770.php

Sylvain Gammacurta

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