L’état d’hypnose a longtemps fasciné autant les scientifiques, que les artistes ou les praticiens. Plongé dans cette étrange expérience, le cerveau semble “se libérer” de certaines barrières et contraintes tout en en érigeant d’autres, absorbant le sujet dans un état différent permettant de faire advenir le changement. Pourtant, comprendre ce qui se joue réellement dans nos neurones lors de cet état demande nuance, recul et humilité. Car si les avancées en neurosciences nous offrent des indices précieux, nous sommes encore loin de percer tous les mystères de ce phénomène.
Cet article examine sous divers angles ce qui semble se passer dans le cerveau lors d’un état d’hypnose. Pour le rédiger, je me suis appuyé non seulement sur des données scientifiques solides, dont vous trouverez aisément les sources en fin d’article, mais également sur des perspectives plus larges, telles que l’anthropologie des rites de passage et des concepts d’ordre spirituel. Vous y trouverez également une hypothèse que je ne présente pas comme une vérité absolue, mais comme une réflexion personnelle, issue de mon expérience d’accompagnant, que je développe et enrichis chaque jour avec un intérêt croissant.
Qu’est-ce que l’hypnose ?
Il n’existe actuellement aucun concept global concernant la définition d’un état hypnotique ( Mazzoni et al., 2013 ; Hinterberger, 2015 ; Landry et al., 2017 ; Zahedi et Sommer, 2021 ). La littérature décrit généralement un changement dans la conscience de veille, une transe légère ou profonde, et parfois un continuum d’états de transe fluctuants , c’est-à-dire un état qui est souvent de nature instable et insaisissable. De plus, il peut y avoir une hétérogénéité marquée dans la perception et les processus neurophysiologiques associés. ( McGeown et al., 2015 ; Jensen et al., 2017 )
Selon l’American Psychological Association (APA), l’hypnose est définie comme « un état de conscience impliquant une attention concentrée et une conscience périphérique réduite, caractérisé par une capacité accrue de réponse à la suggestion » ( Elkins et al., 2015 ).
L’état hypnotique est peut-être un état altéré de conscience qui repose sur une dynamique cérébrale complexe, un état d’attention modifié, où l’esprit est absorbé, nous rendant momentanément différent à l’environnement extérieur. En hypnose, certaines fonctions conscientes semblent s’effacer au profit de processus inconscients, modifiant ainsi notre perception et notre appréhension de la réalité. Cet état peut être induit de plusieurs façons, en quelques secondes à plusieurs minutes, par des techniques qui perturbent les schémas cognitifs habituels (Antoine Bioy, professeur de psychologie clinique et psychopathologie sur l’université de Paris 8, psychologue clinicien et psychothérapeute parle de brusquerie) . Mais derrière l’apparente simplicité du processus se cache une réalité plus complexe.
Pour aller plus loin : Sommes-nous tous hypnotisables ?

Un cerveau « réorganisé«
À quoi ressemble l’activité cérébrale sous hypnose ? Grâce à l’imagerie cérébrale, notamment l’IRM fonctionnelle (IRMf), des chercheurs comme le Pr David Spiegel de la Stanford University ont pu observer des modifications précises dans plusieurs réseaux neuronaux lorsque quelqu’un est hypnotisé. Ces réseaux incluent principalement trois grandes zones :
- Le réseau exécutif, qui gère les fonctions cognitives complexes telles que la prise de décision et la mémoire de travail.
- Le réseau du mode par défaut, activé lors des moments où l’esprit divague, sans objectif particulier.
- Le réseau de saillance, qui hiérarchise et sélectionne les informations dignes d’attention parmi l’environnement perçu.
Sous hypnose, ces réseaux interagissent différemment. Tout d’abord, l’activité du réseau de saillance diminue, ce qui explique pourquoi l’attention à l’environnement extérieur se réduit. Cela permet au sujet de se concentrer intensément sur un point précis, souvent la voix de l’hypnotiseur, un point ou une sensation particulière. Cette focalisation est parfois si intense qu’elle exclut tout le reste.
Simultanément, les connexions entre le réseau exécutif et l’insula augmentent. L’insula est une région essentielle pour traiter les perceptions corporelles, les émotions et la conscience de soi. En d’autres termes, sous hypnose, non seulement la perception de son corps et de ses émotions est modifiée, mais cette expérience devient également plus intense et immersive.
Enfin, l’hypnose entraîne une réduction des connexions entre le réseau exécutif et le mode par défaut. Cette « désynchronisation » permet une dissociation entre l’action et la réflexion. Le sujet, absorbé dans les suggestions de l’hypnotiseur, exécute parfois des tâches ou ressent des choses sans en avoir une pleine conscience, laissant place à un comportement quasi automatique.

Suggestibilité : entre la science et l’interprétation
L’une des caractéristiques de l’hypnose semble être l’augmentation de la suggestibilité, cette capacité à accepter et suivre des suggestions “sans” ou avec moins de résistance critique. Mais attention, cette suggestibilité est souvent mal interprétée. Ce que nous observons dans bons nombres d’études n’est pas tant un « état hypnotique » en soi, mais plutôt une expérience hypnotique façonnée par les conditions externes et les prédispositions internes du sujet.
Une question persiste : la suggestibilité est-elle le fruit de l’hypnose ou bien une prédisposition que l’état hypnotique amplifie ? Autrement dit, les modifications de la connectivité cérébrale observées sont-elles une conséquence de l’hypnose ou bien ce terrain est-il déjà préparé par l’histoire psychologique de la personne ? Il est difficile de répondre clairement et définitivement à cette question. Les études ne contrôlent pas toujours les antécédents hypnotiques des sujets, ni les facteurs psychologiques qui influencent la suggestibilité, comme les états post-traumatiques ou les troubles dissociatifs...
Le rôle de l’inhibition : frein ou libération ?
Un aspect fascinant de l’hypnose est son jeu avec l’inhibition. L’inhibition cognitive est cette capacité à filtrer et contrôler les réponses automatiques, une fonction cruciale dans notre quotidien. Par exemple, le test de Stroop, où l’on doit inhiber la tendance à lire un mot pour en nommer la couleur, illustre bien ce processus. L’hypnose exploite cette capacité d’inhibition pour suspendre certaines réponses naturelles du sujet. Lorsque l’hypnotiseur dit « Dormez ! », il ne s’agit pas d’un simple commandement. C’est une mise en scène dans laquelle le sujet inhibe ses réponses habituelles (comme le réflexe de garder les yeux ouverts), permettant l’apparition d’un état hypnotique.
Le test de Stroop est une expérience souvent utilisée pour comprendre les mécanismes de l’attention et du contrôle cognitif. Il consiste donc à demander aux participants de nommer la couleur d’un mot qui désigne une autre couleur (par exemple, le mot « bleu » écrit en rouge). Dans ce test, on observe une « interférence » entre le système automatique de lecture et le système de reconnaissance des couleurs. Autrement dit, le cerveau doit inhiber l’habitude automatique de lire le mot pour se concentrer sur la couleur de l’encre.

Hypnose et effet Stroop
Plusieurs études ont exploré l’impact de l’hypnose sur l’effet Stroop et elles suggèrent que, sous hypnose, il serait possible de réduire ou même d’éliminer l’interférence Stroop, ce qui permettrait de mieux comprendre comment l’attention et le contrôle inhibiteur fonctionnent.
Raz et al. (2005) : Dans une étude pionnière, le neuroscientifique Amir Raz a examiné comment l’hypnose pouvait influencer la performance au test de Stroop. Il a hypnotisé des participants et leur a donné une suggestion post-hypnotique pour traiter les mots comme des « non-mots », c’est-à-dire ignorer leur signification linguistique. Les résultats ont montré une réduction significative de l’interférence Stroop chez les participants hypnotisés par rapport au groupe contrôle non hypnotisé. Cela suggère que l’hypnose peut moduler le traitement automatique des informations, comme la lecture.
Hypnose sèche et effet Stroop : une absence de modulation
Des études ont montré que l’hypnose « sèche », autrement dit en l’absence de suggestions spécifiques, n’entraîne pas nécessairement de modification significative des processus automatiques ou cognitifs comme ceux observés dans l’effet Stroop. En d’autres termes, se trouver en état d’hypnose sans suggestion explicite ne suffit pas à moduler les interférences cognitives entre la lecture automatique et la reconnaissance des couleurs.
Dans une recherche comparative, toujours Raz et al. (2006) ont examiné deux groupes : un groupe hypnotisé sans suggestions spécifiques (hypnose sèche) et un groupe hypnotisé avec des suggestions ciblées pour ignorer la signification des mots dans le test de Stroop. Ils ont découvert que l’état hypnotique seul, sans suggestion spécifique, ne réduisait pas l’effet Stroop de manière significative par rapport au groupe contrôle (non-hypnotisé). L’interférence persistait, montrant que l’hypnose sèche n’avait pas d’impact direct sur les processus automatiques de lecture.
En revanche, l’ajout de suggestions pendant l’hypnose a produit des résultats significatifs. Dans le même cadre expérimental, les participants ayant reçu des suggestions spécifiques, telles que « les mots que vous voyez ne sont pas des mots, ils n’ont aucun sens », ont montré une forte réduction de l’interférence Stroop. Cela indique que c’est la suggestion combiné avec l’état hypnotique, et non l’état hypnotique en soi, qui permet de moduler l’attention et d’inhiber le système automatique de la lecture.
Ce contraste entre l’hypnose sèche et l’hypnose avec suggestion met en lumière l’importance des instructions explicites données sous hypnose. L’état hypnotique seul ne semble pas suffire à modifier les réponses cognitives automatiques telles que celles observées dans le test de Stroop. Cependant, lorsque des suggestions spécifiques sont introduites, elles peuvent orienter les processus attentionnels et inhibiteurs, réduisant ainsi les interférences cognitives.
Cela souligne que l’hypnose agit principalement comme un amplificateur des effets des suggestions, plutôt que comme un état intrinsèquement modulateur de la cognition. En d’autres termes, c’est l’interaction entre l’état hypnotique et la suggestion qui permet de cibler des processus cognitifs spécifiques comme ceux impliqués dans l’effet Stroop.
Ces recherches ont des implications importantes pour la compréhension des mécanismes de contrôle cognitif et d’attention sélective. Elles suggèrent que l’hypnose pourrait être un outil utile pour étudier comment certaines régions cérébrales régulent l’inhibition des réponses automatiques. En particulier, cela pourrait offrir des pistes de traitement pour des troubles impliquant un dysfonctionnement du contrôle cognitif, comme les troubles obsessionnels-compulsifs ou le TDAH.
Le cortex contient des cartes neuronales qui représentent toutes nos expériences vécues. Lors de l’hypnose, l’hypnotiseur peut agir comme un chef d’orchestre, guidant l’activation de certaines cartes tout en inhibant d’autres. Il suggère au cerveau de retrouver certains états globaux mémorisés, mais en inhibant certaines interférences critiques, créant une sorte de « vide mental » propice à la suggestion et à une nouvelle façon de fonctionner plus adaptée.
Le mode par défaut

Et si nos a priori inconscients étaient responsables de la formation de nos opinions et de nos prises de décision ?
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, un cerveau « au repos » n’est jamais réellement en pause. Imaginez un moteur qui continue de tourner en arrière-plan, même lorsque la voiture est à l’arrêt. Ce sont ces circuits cérébraux qui s’activent lorsque notre esprit vagabonde, sans interagir avec l’extérieur. Ces réseaux connectent des régions du cerveau parfois éloignées, mais qui travaillent en parfaite harmonie, un peu comme un orchestre jouant une symphonie silencieuse. Cette synchronisation, qu’on nomme « connectivité fonctionnelle », est loin d’être aléatoire. Au contraire, elle suit un plan bien établi, reflétant les différentes fonctions du cerveau, telles que la mémoire ou l’imagination.
Parmi ces réseaux, celui qu’on appelle « le mode par défaut » est le plus étudié. Il est responsable de nos réflexions intérieures, de la manière dont nous repensons le passé, analysons nos émotions, ou construisons des scénarios pour l’avenir. Il regroupe des régions cérébrales comme le cortex préfrontal médian, le précunéus et les régions pariétales postérieures. Ce réseau est à la fois le gardien de nos souvenirs et le scénariste de nos rêveries. C’est l’un des plus étudiés aujourd’hui, mais malgré l’intérêt qu’il suscite, la majorité des recherches se sont concentrées sur la surface du cerveau, le cortex, comme si l’on ne scrutait que la peau d’un fruit sans en explorer la chair. En réalité, des zones plus profondes, les fameuses régions « sous-corticales », pourraient bien jouer un rôle clé dans cette danse complexe de la pensée en mode repos, mais elles restent encore un mystère à déchiffrer.
Le DMN est activé lorsque nous ne sommes pas focalisés sur une tâche spécifique. Il occupe donc une place central dans la réflexion introspective, la projection dans le futur, et la conscience de soi. Ce réseau régule ainsi notre perception de nous-mêmes dans le monde et la manière dont nous nous positionnons par rapport à nos expériences passées et futures.
L’hypnose semble alors agir comme une clé qui “déconnecte” notre mode par défaut, ce réseau cérébral qui gouverne les pensées automatiques, les ruminations et l’autoréflexion. En nous projetant dans « cet état modifié de conscience », elle met en pause ces boucles mentales souvent rigides, comparables à des œillères qui limitent notre perception du monde et de nous-mêmes. Si ces filtres cognitifs peuvent être utiles pour structurer notre quotidien, ils peuvent également engendrer des blocages, des croyances limitantes ou des réponses émotionnelles inadéquates face aux situations . En « déverrouillant » ces schémas, l’hypnose ouvre la voie à une plus grande flexibilité mentale, permettant de réévaluer ces filtres avec une perspective nouvelle, plus positive et adaptative. Cette souplesse retrouvée nous permet de mieux ajuster nos réactions aux circonstances, offrant ainsi des solutions concrètes et parfois inattendues aux problématiques complexes qui nous freinaient jusqu’alors.L’état d’hypnose semble permettre d’atténuer la surveillance rigide de soi. Cela pourrait expliquer pourquoi sous hypnose, des suggestions visant à modifier des croyances ou des sensations peuvent être acceptées plus facilement.
Une des études les plus intéressantes et les plus révélatrices concernant l’interaction entre l’hypnose et le « mode par défaut » (ou Default Mode Network, DMN) est celle de McGeown et al. (2009). Cette étude explore comment l’hypnose affecte l’activité cérébrale, notamment le réseau du mode par défaut. Le lien entre l’hypnose et le DMN est particulièrement fascinant, car l’état hypnotique pourrait représenter une modulation spécifique de ce réseau. Dans cette étude, les chercheurs ont utilisé l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) pour comparer l’activité cérébrale de participants pendant un état de repos (non-hypnotique) et pendant un état hypnotique profond. Les sujets n’ont pas reçu de suggestions spécifiques sous hypnose ; l’objectif était d’observer les changements neurologiques associés à l’hypnose en tant que phénomène cognitif global.
Les chercheurs ont constaté que, pendant l’hypnose, l’activité du DMN diminuait significativement dans certaines régions, notamment dans le précunéus et le cortex préfrontal médian, deux zones associées à l’autoréflexion et à l’introspection. Parallèlement, ils ont observé une augmentation de l’activité dans d’autres régions impliquées dans la concentration attentionnelle et l’imagerie mentale, comme le cortex cingulaire antérieur. Cela suggère que l’état hypnotique implique une réorientation de l’attention du DMN vers des processus plus dirigés et focalisés.
Ces résultats soutiennent l’idée que l’hypnose pourrait représenter un état de « désactivation partielle » du DMN, favorisant une réduction des pensées spontanées, introspectives, et une focalisation accrue sur des processus mentaux spécifiques. Ce modèle est en accord avec la notion que l’hypnose est un état de concentration interne dirigée, souvent à la suite de suggestions. En d’autres termes, sous hypnose, les individus ne sont pas dans un état passif ou inactif, mais leur esprit est dirigé vers une forme d’attention plus focalisée, souvent associée à une réduction de l’activité des zones typiques du vagabondage mental.
Hypothèse
Nous l’avons vue, le mode par défaut est un réseau cortical responsable de nombreux processus liés à l’introspection, à la pensée auto-référentielle, la mémoire autobiographique et à l’élaboration mentale… Il joue selon moi un rôle central dans la construction de notre identité, nos automatismes et de notre subjectivité. Ce dernier pourrai bien jouer le rôle d’un filtre « limitant » notre interprétation de la réalité et conditionnant notre vision du monde avec les avantages et les inconvénients que cela représente. Il est possible que les réseaux cérébraux plus « analytiques » et « conscients », tels que le réseau exécutif ou le réseau fronto-pariétal, ne joueraient qu’un rôle secondaire dans ce processus.
D’après les études, l’état d’hypnose permet :
Une diminution de la connectivité auto-référentielle, atténuant une focalisation excessive sur soi, créant ainsi un « espace mental » permettant d’intégrer des suggestions externes.
Une Réduction de la dominance du mode par défaut : Des recherches montrent que, sous hypnose, l’équilibre entre le DMN et les réseaux d’attention (en particulier le réseau de saillance) est modifié, permettant à l’attention dirigée par les suggestions de devenir plus prégnante. Cela facilite une sorte de « reconfiguration cognitive ».
Ainsi qu’un accroissement de la plasticité neuronale : Il existe des preuves que l’hypnose induit une plasticité transitoire dans certaines régions cérébrales. Une étude de Jiang et al. (2017) sur la modulation de la douleur sous hypnose a montré que l’hypnose permettait une modulation rapide des réponses neuronales dans les régions liées au traitement de la douleur.
En état hypnotique, il semblerait que l’activité du réseau exécutif puisse être réduite, ce qui signifie que la capacité d’analyse et de critique consciente et habituelle est diminuée. Ce mécanisme permet certainement aux suggestions hypnotiques d’être intégrées sans être soumises à une trop grande évaluation critique. Les réseaux cérébraux les plus analytiques, tels que le réseau exécutif, seraient donc relégués à un rôle de renforcement post-hoc des changements initiés par le DMN, et non de modérateurs de ces changements.
J’émets alors l’hypothèse que l’état hypnotique favorise une plasticité fonctionnelle accrue du DMN et les réseaux d’attention (entre autres), permettant une réorganisation à plus ou moins long terme des schémas cognitifs et émotionnels habituels. Cette plasticité rendrait le cerveau plus ouvert aux suggestions et permettrait la modulation des processus internes tels que les filtres que représentes les croyances, les émotions et in fine les interprétations et comportements. Ce processus possède à mon sens un potentiel thérapeutique considérable, notamment en réduisant la rigidité de certains schémas jugés dysfonctionnels par le sujet.
L’égo comme construction psychologique
L’égo, dans la psychologie classique et les traditions spirituelles, est souvent considéré comme la construction mentale qui nous donne un sentiment d’identité fixe et séparée du monde. Freud et Jung décrivaient l’égo comme le centre organisateur de la conscience, responsable de l’équilibre entre les impulsions internes et les exigences extérieures. Cependant, dans les traditions spirituelles orientales, comme le bouddhisme ou l’hindouisme, l’égo est perçu comme un voile illusoire qui obscurcit la réalité et nous empêche d’accéder à une compréhension plus profonde de notre être véritable.
De ce point de vue, davantage écarté de la science, sous hypnose, l’égo semble s’effacer, se suspendre, comme si cet organisateur des pensées, des croyances et des perceptions devenait moins rigide et moins dominant. Ce que nous pouvons appeler « la dissolution temporaire de l’égo » permet à l’individu de se libérer des chaînes de son identité et de ses jugements intérieurs, ouvrant une fenêtre sur un espace de réceptivité et de plasticité. C’est à cet instant précis, où les défenses de l’égo sont mises de côté, que les ajustements psychologiques et spirituels peuvent se produire de manière profonde.
L’hypnothérapeute François Roustang voyait l’hypnose comme un processus de désengagement de la volonté, où le sujet ne cherche plus à contrôler activement son expérience. Dans ses ouvrages, tels que Il suffit d’un geste ou Savoir attendre, il parle d’un état où l’on se démet de soi-même, où l’égo cesse d’imposer ses structures habituelles de pensée. Ce désinvestissement de la volonté permet à l’individu de s’ouvrir à l’inconnu, à l’inattendu, créant ainsi des conditions idéales pour que de nouveaux processus psychiques émergent. En cela, l’hypnose devient un espace de liberté, un moment où le sujet peut se libérer des conditionnements de son identité, de ses jugements, et des structures figées qui composent son « égo ».
De nombreuses cultures à travers le monde, depuis les traditions chamaniques des peuples autochtones jusqu’aux pratiques mystiques des grandes religions, ont utilisé des états modifiés de conscience comme moyens de transformation intérieure. En anthropologie, ces états sont souvent décrits comme des rites de passage, des moments où l’individu « abandonne » son identité ordinaire avec humilité pour accéder à des niveaux plus profonds de connexion avec ce que certains nomment « le divin ».
Selon l’anthropologue Arnold van Gennep, les rites de passage impliquent trois phases : la séparation, la marge et la réintégration.
Dans la phase de séparation, l’individu est symboliquement « arraché » à son cadre ordinaire, ce qui suspend ses repères identitaires habituels. Dans la phase de marge, ou liminalité, l’individu se retrouve dans un état d’entre-deux, une zone floue et ambiguë où les normes sociales et identitaires sont suspendues, offrant ainsi un espace de plasticité mentale et spirituelle. C’est dans cet état de liminalité que se produit souvent la transe ou la vision chamanique, un état de conscience altéré qui permet de percevoir la réalité sous un autre angle. Enfin, la réintégration marque le retour à la vie sociale, mais avec un statut ou une identité transfigurée.
D’ailleurs, dans de nombreuses cultures chamaniques, la transe est précisément cet outil de « suspension du moi » qui permet de communiquer avec le monde des esprits, des ancêtres ou des divinités. Ces processus, souvent provoqué par des chants, des rythmes répétitifs ou des substances hallucinogènes, crée une rupture dans le fonctionnement quotidien de l’esprit, amenant l’individu à une forme d’extase ou « de dissolution du soi ».
Les méthodes d’induction : « casser » le schéma pour réorganiser

Il y a une grande variabilité d’interprétation d’un réel commun, à la faveur de nos biais, de nos automatismes, de notre attention et de nos subjectivités.
L’hypnotiseur utilise diverses techniques pour induire la transe. La rupture de pattern consiste à interrompre une séquence prévisible pour créer un moment de confusion, propice à la suggestion. Par exemple, lors d’une poignée de main, l’hypnotiseur pourrait soudainement dévier le geste pour désorienter le sujet et introduire une nouvelle suggestion.
La confusion mentale, quant à elle, repose sur une surcharge d’informations jusqu’à ce que le cerveau, débordé, accepte la première suggestion simple qu’on lui propose, souvent l’ordre de « dormir ». Les suggestions directes exploitent les inhibitions normales du sujet, le conduisant à suivre les directives en inhibant ses propres réponses naturelles. Et enfin les suggestions indirectes qui sont des méthodes de communication utilisées afin d’influencer l’esprit du sujet de manière subtile et souvent non directe.
Exemples de suggestions indirectes :
Évoquer plutôt qu’imposer : Elles invitent le sujet à explorer des idées ou des sensations, plutôt que de les forcer. Par exemple, un hypnotiseur pourrait dire : « Certaines personnes découvrent qu’elles peuvent se détendre profondément lorsqu’elles écoutent leur respiration. »
Utilisation de métaphores : Les suggestions indirectes utilisent souvent des métaphores ou des histoires pour faire passer des messages. Par exemple, on pourrait parler d’un fleuve qui emporte le stress pour illustrer la façon dont le sujet peut libérer ses tensions.
Ambiguïté délibérée : Les suggestions peuvent être formulées de manière à ce que leur signification ne soit pas immédiatement évidente, permettant ainsi au subconscient d’interpréter le message à sa manière.
Conclusion : Un champ en pleine exploration et des connaissances fragiles
L’hypnose, bien que fascinante, n’est pas un état de magie ou de contrôle total. C’est un phénomène complexe où se mêlent des processus neuronaux, psychologiques, sociaux et contextuels… Les explications multifactorielles, qui prennent en compte à la fois les aspects neurologiques et l’histoire personnelle du sujet, sont celles qui nous offrent une vision la plus proche de la réalité. A mon sens, nous ne faisons qu’effleurer la surface de la compréhension de l’hypnose, et chaque nouvelle recherche ouvre de nouvelles portes vers les profondeurs du cerveau humain.
A noté cependant que malgré les progrès fulgurants réalisés en neurosciences, il est essentiel de reconnaître que les sciences cognitives, qui explorent l’esprit humain et ses mécanismes, sont encore à leurs débuts. Albert Moukheiber, un neuroscientifique et psychologue, parle d’une discipline préparadigmatique, ce qui signifie que les sciences cognitives n’ont pas encore établi un cadre théorique solide et unifié.
L’incertitude nous est difficile à supporter. L’être humain cherche à savoir, c’est à la fois sa faiblesse et la source de sa grandeur. Car la parole naît du doute, et c’est là que réside le prix du questionnement.
Cette situation est à double tranchant. D’une part, ce manque de cadre et certitudes permet une grande liberté d’exploration, ouvrant des chemins inattendus pour comprendre les fonctions cognitives. D’autre part, cette absence de cadre théorique signifie qu’il est facile de surinterpréter les résultats, surtout lorsqu’on utilise des outils sophistiqués comme l’IRM fonctionnel. Cet outil, qui permet de visualiser quelles zones du cerveau s’activent lors de différentes tâches, est souvent perçu comme une « vérité » sur le fonctionnement cérébral… Cependant, ce n’est qu’une photographie partielle, qui ne dit pas tout sur la manière dont les régions du cerveau interagissent ou sur la complexité des processus mentaux en jeu.
Il est donc crucial de ne pas attribuer à ces technologies plus de pouvoir explicatif qu’elles n’en ont réellement. L’IRM fonctionnel montre des corrélations entre des zones cérébrales activées et certaines actions ou pensées, mais il ne nous dit pas pourquoi ni comment ces activations se produisent à un niveau plus profond.
Afin de trouver un sens et bien souvent le sens qui nous arrange, il est tentant de tirer des conclusions hâtives, voire de faire dire aux résultats ce qu’ils ne disent pas vraiment. Le cerveau reste une « terra incognita », et nous ne sommes qu’au début de notre exploration, avec de nombreux mystères encore à élucider.
Sylvain Gammacurta
Sources :
Etude de Speigel : Study identifies brain areas altered during hypnotic trances, Stanford Medicine News Center, 28 july 2016
Brain Activity and Functional Connectivity Associated with Hypnosis, H. Jiang, M.P. White, M. D. Greicius, L.C. Waelde and D. Spiegel, Cerebral Cortex (2016)
Demertzi et al. (2011)
Raz, A., Fan, J., & Posner, M. I. (2006). Hypnotic suggestion reduces conflict in the human brain. Proceedings of the National Academy of Sciences, 103(28), 11325-11330.
Oakley, D. A., & Halligan, P. W. (2013). Hypnotic suggestion: Opportunities for cognitive neuroscience. Nature Reviews Neuroscience, 14(8), 565-576.
Article référence : https://sante.lefigaro.fr/actualite/2016/08/08/25277-secrets-lhypnose-se-devoilent
Savoir attendre: Pour que la vie change, Livre de François Roustang
Arnold Van Gennep, LES RITES DE PASSAGE. ÉTUDE SYSTÉMATIQUE DES RITES
Functional brain basis of hypnotizability: https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23026956/
Article Antoine Bioy : https://www.hypnose.fr/articles-et-theses/recherche-hypnose-antoine-bioy/actualites-recherche-hypnose-4/