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Carl Rogers – Le « Développement de la personne »

Le « Développement de la personne »

Le Développement de la personne est un recueil d’écrits majeurs de Carl R. Rogers, figure fondatrice de la psychothérapie humaniste. Il rassemble des conférences, des essais et des réflexions cliniques rédigés au fil de deux décennies d’expérience en psychothérapie, en recherche et en enseignement. Mais ce livre est bien plus qu’une somme de textes : c’est une œuvre traversée par une exigence éthique et une foi inébranlable en la capacité de l’être humain à croître, à se transformer, à s’actualiser.

Rogers y développe les fondements de ce qu’il appelle la « thérapie centrée sur la personne », une approche qui mise non pas sur les techniques, mais sur la qualité de la relation entre thérapeute et client. Empathie authentique, regard positif inconditionnel et congruence, ces attitudes fondamentales, si elles sont vécues pleinement, constituent selon lui les conditions suffisantes du changement.

Mais l’ouvrage dépasse le cadre thérapeutique : il touche à l’éducation, aux relations interpersonnelles, à la manière dont nous pouvons, individuellement et collectivement, favoriser un climat propice au développement humain. Rogers ne prétend jamais détenir la vérité : il explore, il doute, il s’ajuste, au rythme du vivant. C’est ce qui rend sa pensée à la fois rigoureuse et profondément humaine.

Loin d’un dogme, Le Développement de la personne est une œuvre-passerelle : entre psychologie et philosophie, entre observation scientifique et sagesse existentielle, entre méthode et présence. Il s’adresse autant au thérapeute qu’à l’enseignant, au chercheur qu’à toute personne engagée sur le chemin de la connaissance de soi et de l’autre.

Préface : l’impact diffus mais profond de Carl Rogers

Carl Ransom Rogers, né en 1902 à Oak Park (Illinois) et mort en 1987 à La Jolla (Californie), est un psychologue humaniste américain.

La préface de Max Pagès,psychosociologue et professeur d’université français, souligne combien l’influence de Rogers est présente, bien que diffuse, même dans des domaines en dehors de la psychothérapie, aussi bien dans les pays anglo-saxons que francophones. La pensée de Rogers est non sectaire et non dogmatique. Le « bouleversement » rogérien interpelle souvent par sa conception fondamentalement positive de la nature humaine, mue par une acceptation inconditionnelle de soi-même et d’autrui.

En 2003, Prochaska et Norcross soulignent que Rogers a constamment soutenu l’importance d’une évaluation empirique de la psychothérapie. Selon eux, lui-même ainsi que ses « disciples » ont montré qu’il n’existe pas d’incompatibilité fondamentale entre une approche humaniste de la pratique thérapeutique et une démarche scientifique rigoureuse d’évaluation.

L’intention de l’ouvrage

Pour Rogers, si le thérapeute s’imagine conduire rationnellement et techniquement la thérapie, il se fait illusion et s’éloigne d’une thérapie effective, car il refuse ses propres émotions et sa relation réelle avec le client. À partir de ses propres dires, le but de cet ouvrage est de faire partager son expérience, quelque chose de lui, ce qu’il a appris dans le dédale de la vie moderne, dans le territoire vaste et inexploré des relations personnelles. Voici ce qu’il en a vu, voici ce qui l’a amené à croire, et comment il a vérifié les perplexités, les pensées, les questions, les inquiétudes et les incertitudes auxquelles il a fait face.

“Ce livre décrit la souffrance et l’espoir, l’anxiété et la satisfaction dont est rempli le cabinet de consultation de tout psychothérapeute. C’est l’histoire unique de la relation qui se forme entre chaque thérapeute et son client, ainsi que la description des éléments communs à toutes ces relations. Ce livre décrit l’expérience extrêmement personnelle de chacun de nous. Il s’agit d’un client qui, assis à côté de mon bureau, dans mon cabinet, s’efforce d’être lui-même, tout en ayant une peur mortelle de se laisser aller à l’être, qui essaie de voir son expérience telle qu’elle est, qui veut être cette expérience alors même que cette perspective l’épouvante. » (p.4)

Carl Roger, Le développement de la personne

L’approche centrée sur la personne : une philosophie vivante

Ce que je propose ici n’est qu’une humble synthèse, un modeste fil conducteur destiné à faire apparaître quelques lignes de force de cet ouvrage aussi dense qu’accessible. Car Le Développement de la personne ne se résume pas, selon moi il s’expérimente. Il ne s’impose pas comme un système clos, mais s’ouvre comme un processus en cours, une invitation à la rencontre, au changement et à la croissance.

La philosophie de la Thérapie centré de la personne de Carl Rogers ce base sur plusieurs fondements :

• L’humanisme : Inspiré du mot latin humanitas, qui désigne l’humanité en tant qu’idéal de civilisation et de culture, l’humanisme valorise la dignité de l’esprit humain et les facultés intellectuelles de l’être humain. Il est, par la suite, devenu étroitement lié à l’idée de progrès de la civilisation.

• La phénoménologie : Fondée par Edmund Husserl, la phénoménologie s’attache à explorer l’expérience vécue du sujet, en mettant en contraste cette subjectivité avec la réalité dite « objective », conçue ici comme une construction mentale. Elle propose ainsi un accès à la connaissance centré sur la conscience et le vécu immédiat.

• L’herméneutique : L’herméneutique est la discipline de l’interprétation, non seulement des textes, mais aussi des intentions, des croyances et des actions humaines. Développée notamment par Heidegger, Gadamer et Ricoeur, elle a profondément influencé les approches humanistes en psychothérapie, lesquelles se fondent sur la compréhension mutuelle par le dialogue, la narration et la co-construction du sens de l’expérience.

• L’existentialisme : Ce courant philosophique, porté notamment par Sartre et Heidegger, affirme que l’existence précède l’essence. Autrement dit, les individus ne sont pas définis par une nature préétablie, mais construisent eux-mêmes le sens de leur vie à travers leur conscience et leurs choix. La liberté individuelle, l’authenticité et la responsabilité en constituent des thèmes centraux.

L’approche centrée sur la personne est, dans son essence, une manière d’être qui s’exprime à travers des attitudes et des comportements créateurs d’un climat propice à l’épanouissement. Au fond, il s’agit davantage d’une philosophie que d’une simple technique ou méthode.

Pour Rogers, les conditions facilitantes sont de mieux en mieux circonscrites : aux attitudes d’acceptation inconditionnelle, de respect, d’empathie et d’authenticité s’ajoutent la chaleur, l’immédiateté, l’esprit concret et la confrontation.

« Dans la thérapie, l’individu est vraiment devenu un organisme humain, avec toutes les richesses que cela comporte. Il est réellement capable de se contrôler lui-même, et il est incorrigiblement social dans ses désirs. Il n’y a pas de bête dans l’homme, il n’y a dans l’homme que l’homme, et c’est lui que nous avons délivré. » (p.79)

La thérapie, selon Rogers, semble être un retour aux perceptions sensorielles de base et aux expériences viscérales.

« Les attitudes et les sentiments du thérapeute importent bien plus que son orientation théorique. Ses processus et ses techniques sont moins importants que ses attitudes. Il faut noter également que c’est la façon dont ses attitudes et ses processus sont perçus qui compte pour le client et que cette perception est cruciale. » (p.31)

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Le processus thérapeutique : 7 étapes de transformation

Rogers théorise le processus thérapeutique en détaillant 7 étapes par lesquelles le sujet passe de la fixité à la fluidité, d’un point situé près de « son pôle statique » du continuum à un point situé près de « son pôle en mouvement ».

(Il est important de rappeler qu’une personne n’est jamais exclusivement à tel ou tel stade de ce processus.)

  1. Refus de communication personnelle : Le désir de changement est absent. La communication porte uniquement sur des sujets extérieurs. Le sujet est tributaire de ses schèmes. Être en relation intime et personnelle avec quelqu’un est ressenti comme dangereux. La personne est rigide, répugnante à toute élaboration de son expérience immédiate. Elle ne sera certainement pas volontaire pour une thérapie.
  2. Acceptation partielle et expression extérieure : Après avoir été totalement accepté, l’individu parle de personnes autres que lui-même de manière moins superficielle. Il perçoit les problèmes comme extérieurs à soi. Ici l’expérience immédiate est liée à une structure imposée par le passé et tient éloigné d’elle sa propre expérience immédiate. Les schèmes sont rigides, les sentiments exprimés globalement, sans nuance. Beaucoup de clients qui viennent volontairement consulter sont à ce stade.
  3. Première expression de soi : Le discours devient plus personnel mais l’acceptation des sentiments reste faible. L’expérience est encore perçue comme passée ou étrangère. L’expression des sentiments devient plus nuancée, les choix personnels sont reconnus comme inefficaces.Le client parle beaucoup de sentiments et d’intention personnelle non actuelle ou bien les décrit longuement. Il y a très peu d’acceptation des sentiments. Ceci apparaissent, pour la plupart, comme quelque chose de honteux, de mauvais, d’anormal, toujours plus ou moins inacceptable.
  4. Relâchement progressif des schèmes : Sentiments exprimés dans l’ici et maintenant malgré méfiance et peur. L’expérience est perçue comme contradictoire avec le moi. La responsabilité est reconnue mais avec hésitation. Le client se rend compte des contradictions et des dissonances entre son expérience immédiate et son moi.
  5. Acceptation croissante de ses sentiments : Le sujet exprime ses émotions librement, accepte ses contradictions. Le dialogue intérieur est plus libre, la responsabilité est assumée plus facilement.
  6. Expérience immédiate spontanée : L’émotion est vécue dans toute sa richesse. Ce caractère spontané et immédiat de l’expérience et le sentiment qu’elle contient sont acceptés, c’est devenue quelque chose de réel, et qui n’a plus à être refusé, craint ou combattu. Le schème correspondant disparaît, et le client est coupé de son cadre de référence habituel.

NB : Personnellement, je trouve qu’un certain lien peut être fait avec la transe hypnotique, où le sujet est directement confronté à ce stade 6, voire 7 si le rapport et les suggestions sont adéquates.

A ce stade, il n’y a plus de “problèmes” extérieurs ou intérieurs”. Le client vit subjectivement une phase de son problème. Ce n’est pas un objet.

7.Le degré d’acceptation de soi, de ses sentiments changeants, croît de manière continue ; une confiance solide dans sa propre évolution se manifeste.
L’expérience immédiate a presque complètement perdu ses aspects schématiques et abstraits, et devient réellement l’expérience du processus lui-même, c’est-à-dire que la situation est vécue et interprétée dans toute sa nouveauté, non à travers le prisme du passé.
Le moi devient de plus en plus la conscience subjective et réfléchie de l’expérience immédiate.
Le moi est moins fréquemment un objet perçu, et beaucoup plus fréquemment quelque chose dont on suit l’évolution avec confiance.
Les schèmes personnels sont refondus provisoirement, pour être éventuellement validés par l’expérience en cours ; mais même alors, ils sont soutenus de façon moins rigide.
La communication interne est claire, impression et symbole étant bien assortis, avec des termes neufs pour des sentiments nouveaux. Le sujet fait l’expérience du choix effectif de nouvelles manières d’être.

« En général, le processus part d’un point fixe où tous les éléments et toutes les lignes de forces sont facilement discernables et compréhensibles séparément, jusqu’au point culminant de la cure où toutes les lignes de force en viennent à former un mélange complètement homogène[…] À mesure que le processus atteint ce point, la personne devient une unité en mouvement. Elle a changé mais, chose plus significative, sa capacité de changer fait maintenant corps avec elle. » (p.109)

Directions possibles du changement personnel

Les directions que peuvent prendre les clients sont les suivantes :

  1. s’éloigner des façades;
  2. aller par-delà le « je devrais »;
  3. dépasser ce qu’on attend de soi;
  4. dépasser le devoir de faire plaisir;
  5. aller vers l’auto-direction;
  6. aller vers la mobilité, le changement;
  7. aller vers la complexité;
  8. aller vers une ouverture à l’expérience;
  9. aller vers l’acceptation d’autrui;
  10. aller vers la confiance en soi;
  11. être soi en profondeur.

Rogers précise bien que Être soi-même n’est en rien être fixe. Être soi-même, c’est justement accéder à la mobilité, à la fluidité complète. Le changement est facilité — peut-être même poussé à l’extrême — lorsqu’on accepte d’être vraiment soi-même. Ce n’est qu’en devenant davantage ce qu’il a nié en lui que l’individu peut espérer changer.

Souvent, on s’imagine qu’être vraiment soi-même, c’est être mauvais, déchaîné, destructeur. Rogers réfute cette crainte en expliquant que le client découvre peu à peu qu’il peut être en colère, avoir peur, s’apitoyer sur lui-même, être sensuel, paresseux ou hostile , sans que le monde s’écroule. Ces sentiments, une fois tolérés et intégrés, trouvent leur juste place dans l’harmonie de l’être.

La thérapie permet d’accepter son état d’être, et d’accepter de plus en plus les autres avec la même attention, la même compréhension.


« Il découvre sans cesse qu’être entièrement soi-même, dans toute sa fluidité, n’est pas synonyme d’être mauvais ou déchaîné. Au contraire, c’est ressentir avec une fierté grandissante qu’on est un membre sensible, ouvert, réaliste, autonome de l’espèce humaine, qui s’adapte courageusement aux situations complexes et changeantes […] C’est une continuelle réorientation de vie. » (p. 127)

Qu’est-ce qu’une « vie pleine » ?

Un des aspects du processus de « vie pleine » est un mouvement allant du pôle défensif vers une plus grande ouverture à l’expérience, une liberté intérieure croissante et une conscience de soi accrue.

« Les clients qui ont fait des progrès significatifs au cours de la thérapie vivent dans une intimité plus grande avec leurs sensations douloureuses, mais aussi plus intensément avec leurs sentiments de bonheur, que la colère leur est plus sensible, mais aussi l’amour, que la peur est une expérience qu’ils font plus profondément, mais qu’ils en aient de même pour le courage, et la raison pour laquelle ils peuvent ainsi vivre totalement un champ plus large et qu’ils ont en eux-mêmes une confiance sous-jacente qui les fait se considérer comme des instruments dignes de la confiance pour affronter la vie. » (p.139)

Les adjectifs tels que : heureux, satisfait, content, agréable ne suffisent pas à décrire la « pleine vie ». Les termes plus justes sont : enrichissant, passionnant, stimulant, significatif.

« Le processus de la vie pleine n’est pas un développement de toutes les possibilités de l’être. Il implique le courage d’exister. Il signifie qu’on se jette en plein dans le courant de la vie. » (p.140)

La « vie pleine », chez Carl Rogers, désigne donc la réalisation dynamique du potentiel humain, dans un processus constant de croissance, d’ouverture à l’expérience et d’authenticité. Elle n’est pas un état figé ou parfait, mais un mode d’être caractérisé par certaines attitudes et manières de se rapporter au monde et à soi-même.

Un individu vivant une « vie pleine » est celui qui :

  1. Est ouvert à l’expérience : il accepte pleinement ses émotions, qu’elles soient agréables ou douloureuses, sans les refouler ni les nier. Il vit dans une relation de confiance avec ses propres ressentis.
  2. Vit de manière existentielle : il se situe dans le présent, dans une souplesse adaptative, sans être prisonnier de structures rigides ou de conditionnements passés.
  3. Fait preuve de confiance organique : il suit ses intuitions et ressentis corporels profonds comme guide fiable pour ses choix, plutôt que des normes extérieures ou des injonctions intériorisées.
  4. Est créatif et libre : il fait preuve d’originalité dans ses actions, agit en fonction de ses valeurs propres, et assume la responsabilité de ses choix.
  5. Est en devenir : il accepte de ne jamais être un « produit fini », mais de rester dans un mouvement de développement continu. La « vie pleine » est, selon Rogers, un processus, non une destination.

Pour Rogers, une personne qui mène une « vie pleine » n’est pas celle qui est toujours heureuse ou sans conflit, mais celle qui ose vivre en accord avec elle-même, dans une attitude d’ouverture, d’authenticité, de confiance et de croissance. C’est l’idéal vers lequel tendent les individus dans un contexte thérapeutique centré sur la personne, à mesure qu’ils se libèrent des conditions de valeur imposées par leur environnement pour se reconnecter à leur « organisme total ».

Ainsi, la « vie pleine » est l’expression la plus aboutie du fonctionnement sain de la personne : fluide, intégrée, vivante, en transformation constante.

Fondements philosophiques et scientifiques

Rogers évoque Soren Kierkegaard et Martin Buber comme l’ayant inspiré, notamment dans la découverte du caractère profondément intersubjectif de la relation thérapeutique. . On peut lire : « je crois que la meilleure façon d’exposer ce but de la vie, tel que je le vois dans mes rapports avec mes clients, est d’employer les mots de Soeren Kierkegaard : être vraiment soi-même ».

Kierkegaard a inspiré Rogers par sa vision d’un être humain libre, singulier, en quête d’authenticité et confronté à l’angoisse existentielle.
Rogers a repris cette base philosophique pour en faire un fondement psychologique, où la croissance personnelle naît de l’écoute empathique, de la liberté intérieure et de la responsabilité face à soi-même.

Buber identifie quatre éléments fondamentaux de la relation authentique (Je-Tu,1923) : réciprocité, présence, totalité, responsabilité.

Martin Buber a profondément influencé Carl Rogers en l’aidant à articuler la relation authentique comme le cœur de l’expérience humaine et du processus thérapeutique. La rencontre Je-Tu devient chez Rogers la relation thérapeutique centrée sur la personne, marquée par la présence, l’empathie, la congruence, et l’acceptation inconditionnelle. Cette influence a contribué à faire de Rogers un pionnier du tournant relationnel en psychothérapie, bien avant que cette perspective ne devienne dominante dans les approches contemporaines.

Concernant la science, pour Rogers, elle n’existe que dans les gens et doit être soumise aux mêmes exigences qu’eux : ouverture à l’expérience. Il cherche à réconcilier science et expérience. Il mentionne la technique Q de Stephensen pour objectiver les changements dans le concept de soi du client.

Rogers formule un paradoxe inhérent à sa propre approche centrée sur la personne : si l’on érige l’expérience subjective en critère de vérité ultime, alors toutes les vérités se valent, puisqu’elles sont toutes authentiques pour celui qui les vit. Cette affirmation pose un risque épistémologique : le relativisme total, où la validité d’un sentiment ou d’une croyance se confondrait avec sa véracité. Il en résulte un enchevêtrement de vérités multiples et contradictoires, une cacophonie où il devient difficile de discerner ce qui est simplement vécu de ce qui est objectivement fondé. Selon lui, afin d’éviter cet enchevêtrement de vérité multiple et parfois contradictoire il faut retomber dans la seule méthode connue pour arriver à une approximation de la réalité toujours plus serrée, la méthode scientifique.

En effet, Rogers affirme ici la nécessité du cadre scientifique pour dépasser le chaos subjectif. Il reconnaît que seule la méthode scientifique permet une mise à l’épreuve rigoureuse des impressions et des intuitions personnelles. Ce n’est pas un rejet de la subjectivité, mais un appel à la confronter à une méthode partagée, reproductible, vérifiable, pour s’approcher d’une compréhension plus cohérente et nuancée de la réalité humaine.

« Pour éviter de me tromper en tant qu’observateur et pour obtenir une image plus exacte de l’ordre qui existe, j’utilise tous les procédés de la science. La science n’est pas quelque chose d’impersonnel, mais simplement, une personne vivant une autre phase d’elle-même. »

Rogers nuance l’idée d’une science froide et extérieure. Il affirme que la science elle-même est une activité humaine profondément incarnée. Elle n’est pas détachée de la personne, mais constitue une phase spécifique de son développement personnel : celle où l’individu cherche à objectiver, organiser et comprendre son vécu dans un langage universel. L’auteur refuse ainsi une vision dualiste entre l’homme subjectif et la science objective et cherche à les réconcilier. Pour lui, la science est un prolongement de la personne dans son effort de lucidité.

Application en pédagogie : apprendre par soi-même

Dans les chapitres « Enseigner et apprendre » et « Apprentissage authentique en thérapie et en pédagogie », Rogers affirme qu’on ne peut enseigner quelque chose à quelqu’un d’autre.

« Les seules connaissances qui puissent influencer le comportement d’un individu sont celles qu’il découvre lui-même et qu’il s’approprie. » (p.153)

Ainsi, selon lui, l’apprentissage en pédagogie doit suivre les mêmes principes que l’apprentissage thérapeutique.

Carl Rogers critique fermement les méthodes traditionnelles d’enseignement, où l’apprentissage est souvent guidé, voire contraint, par une évaluation imposée par l’enseignant. Pour lui, faire dépendre l’apprentissage de critères extérieurs (ceux de l’enseignant) va à l’encontre d’un processus authentique, personnel et vivant.

Dans la vraie vie, ce ne sont pas les examens qui déterminent la valeur de ce que l’on apprend, mais les situations concrètes, les épreuves existentielles.
L’auteur en fait un parallèle avec la thérapie : le client apprend en affrontant les défis de la vie, pas en répondant à des tests formatés.
Il propose donc que l’apprentissage authentique soit guidé par la vie elle-même, et que les outils offerts par l’éducation (ou la thérapie) servent à mieux affronter ces défis , pas à juger ou punir l’élève.

“L’évaluation se place dans la vie comme un ticket d’entrée, et non pas comme un gourdin pour récalcitrants.” p.198

Rogers valorise une vision profondément humaniste et émancipatrice de l’éducation. Il s’inquiète du conformisme que produit le système éducatif : savoirs figés, valeurs imposées, attitudes formatées… Pour lui, l’objectif de l’enseignement n’est pas de remplir un esprit, mais de créer les conditions dans lesquelles une personne peut développer sa propre pensée, sa propre créativité, son propre rapport au savoir.
Il insiste sur l’importance de l’originalité, de l’indépendance d’esprit, et d’une acquisition personnelle et vécue du savoir, non d’une simple reproduction.

On retrouve ici l’idée de Montaigne : « Une tête bien faite plutôt qu’une tête bien pleine » .

Max Lerner dit quelque part : “ Tout ce qu’une école peut espérer faire, c’est d’équiper les élèves d’outil qu’il puissent plus tard utiliser pour devenir des hommes instruits. » p.201 Lerner M. America as a civilization, 1957 p.741


L’école ne doit pas chercher à « fabriquer » des individus cultivés, mais à leur donner les outils pour le devenir par eux-mêmes, plus tard, dans leur vie.
Cela implique un décentrement du savoir magistral vers une pédagogie de la responsabilité, de la découverte, de la liberté.

Loi générale des relations interpersonnelles et créativité

Il s’ensuit qu’une personne qui fonctionne pleinement se sentira plus libre d’être créative. Elle sera également plus créative dans sa façon de s’adapter aux circonstances sans ressentir le besoin de se conformer.

Rogers formule une loi générale hors champ thérapeutique : plus la congruence entre expérience, conscience et communication est grande chez un individu, plus la relation favorisera la congruence et la satisfaction chez l’autre.

Il propose aussi une théorie de la créativité fondée sur :

  1. ouverture à l’expérience ;
  2. centre d’évaluation interne ;
  3. habileté à jouer avec les concepts ;
  4. sécurité intérieure ;
  5. liberté psychologique.

Une thérapie pleinement réussie

Pour Rogers, une thérapie parfaitement réussie serait :

« Le thérapeute a réussi à établir avec le client une relation intensément personnelle et subjective non pas celle du savant avec un objet d’étude, non pas celle du médecin cherchant à faire un diagnostic et à guérir mais une relation de personne à personne. Cela signifie que le thérapeute considère ce client comme une personne inconditionnellement valable : valable quelle que soit sa situation, son comportement, ses sentiments. Cela signifie que le thérapeute est sincère, ne se dissimule pas derrière une façade défensive, mes rencontres avec le client avec les sentiments qu’il éprouve organiquement. Cela signifie que le thérapeute est capable de s’abandonner pour comprendre le client qu’aucune barrière intérieure ne l’empêche de sentir ce que ressent le client à tout moment à propos de leur relation, et qu’il peut transmettre quelque chose de sa compréhension empathique au client pour le client, la réussite de la thérapie signifierait l’exploration de sentiments de plus en plus étrange, inconnu et dangereux, exploration rendue possible seulement par la conscience progressive qu’il est accepté sans restriction.

Il prend ainsi conscience d’éléments de son expérience auquel dans le passé il n’avait refusé la conscience, parce que trop menaçant, trop traumatisant pour la structure du moi.

Il s’aperçoit qu‘il fait l’expérience entière, totale de ses sentiments, dans sa relation avec le thérapeute, si bien que, pour le moment, il est sa peur, sa colère, ou sa tendresse, ou sa force et au fur et à mesure qu’il vit ses sentiments variés, dans tous leurs degré d’intensité, il découvre qu’il fait l’expérience de lui-même, qu’il est tous ses sentiments. Il s’aperçoit que son comportement change de manière constructive en accord avec le moi dont il vient de faire l’expérience nouvelle. Il va bientôt se rendre compte qu’il n’a plus besoin de craindre ce que l’expérience peut lui proposer, mais qu’il peut l’accueillir librement comme une part de son moi en train de se transformer et de se développer...” p.131

Pour Rogers une « vie pleine » est un processus, non un état, une direction non une destination. Pour conclure, il est possible d’affirmer que Rogers ne propose pas une méthode de soins mais une manière d’être, une relation vivante, une philosophie du changement. Selon moi, Carl Rogers n’est pas un penseur parmi d’autres dans l’histoire de la psychothérapie ; il est une source. Il a fait entendre une voix singulière : celle d’une confiance radicale dans le potentiel humain, d’une attention sans relâche aux conditions qui permettent l’épanouissement de la personne. Psychologue, thérapeute, mais aussi penseur du dialogue et de la relation, il a su tisser des ponts entre la clinique, l’éducation, les relations humaines et même la politique. Chez lui, la psychothérapie n’est jamais un simple outil de réparation ; elle est un art de vivre, un acte éthique, une démarche de libération.

Sylvain Gammacurta