Sylvain Gammacurta Hypnose
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Soufi, mon amour

Soufi, mon amour », roman de l’auteure turque Elif Shafak publié en 2009, est une œuvre qui transcende les époques et les cultures pour offrir une réflexion profonde sur l’amour, la spiritualité et la quête de soi. Ce livre délivre habilement deux récits parallèles : celui de Ella Rubinstein, une femme américaine contemporaine en quête de sens, et celui de la rencontre historique entre le poète mystique Rûmî et le derviche Shams de Tabriz au XIIIᵉ siècle.

Soufi, mon amour

I. L’éveil d’une sensibilité inattendue

Il est des livres qui traversent notre esprit sans y laisser trop de trace, et d’autres qui, contre toute attente, bouleversent quelque chose de profond en nous. Soufi, mon amour appartient indéniablement à cette seconde catégorie.
« Soufi, mon amour » d’Elif Shafak s’est imposé à moi comme une révélation inattendue, une véritable métamorphose de mon regard littéraire. Je dois l’avouer, ce n’est point le type d’ouvrage que je privilégie d’ordinaire. Pourtant, encouragé par les incitations d’un groupe de lecteurs auxquels je viens tout juste de me joindre, j’ai osé franchir le seuil de ce roman, pour mon plus grand plaisir. Dès les premières pages, la prose se déploie en une symphonie subtile, tantôt mystique, tantôt empreinte d’une humanité poignante, qui transcende sans conteste l’étiquette de « roman sirupeux » que je m’étais, à tort, fait l’opinion. Je peux affirmer que j’ai réellement Aimé ce livre.

« Si nous sommes la même personne avant et après avoir aimé, cela signifie que nous n’avons pas suffisamment aimé.« 

« Si un jour de votre vie est le même que le jour précèdent, c’est sûrement bien dommage. A chaque instant, à chaque nouvelle inspiration, on devrait se renouveler, se renouveler encore. Il n’y a qu’un moyen de naître à une nouvelle vie : mourir avant la mort. »

Dans Soufi, mon amour, les quarante règles de Shams de Tabriz sont disséminées tout au long du récit, servant de fil conducteur à l’initiation spirituelle des personnages et du lecteur. Ces règles, empreintes de sagesse soufie, traduisent une approche ésotérique du Coran, où l’amour divin prime sur la littéralité du texte sacré. Elles invitent à dépasser l’orthodoxie rigide pour embrasser une lecture intérieure, intuitive et universelle, où l’ego se dissout dans la quête du divin. Chaque règle éclaire un aspect de cette spiritualité : le détachement , l’acceptation de l’altérité, la tolérance absolue ou encore la transformation de la souffrance en élévation.

À travers elles, le roman devient un véritable « guide mystique« , rappelant que la voie soufie est avant tout celle du cœur, de l’expérience intime et de l’amour inconditionnel.

Shams et Rumi

II. Un voyage mystique entre deux mondes


Publié chez 10/18, ce livre se révèle donc être un double voyage, un périple à la fois temporel et spirituel, où se rencontrent l’Amérique contemporaine et l’effervescence mystique du XIIIᵉ siècle à Konya (Turquie). D’un côté, nous suivons l’histoire d’une femme dont la vie, en apparence comblée par les apparences d’un foyer idyllique dans le Massachusetts, se trouve chamboulée lorsqu’elle reçoit, pour sa première mission en tant que lectrice pour un agent littéraire, le manuscrit énigmatique intitulé « Doux Blasphème », signé par le mystérieux Aziz Z. Zahara. Ce texte, porteur d’un pouvoir subversif, bouleverse peu à peu sa vision du monde, éveillant en elle des questionnements sur l’amour, le destin et la quête de sens.

La lettre « b »
Chaque chapitre du livre (Doux Blasphème) commence par la lettre « b ». Cela s’explique par le fait que le secret du Coran réside dans la Sourate Al-Fatiha, dont l’esprit est contenu dans la phrase Bismillah ir-Rahman ir-Rahim (« Au nom d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux »). La première lettre arabe du Bismillah porte un point en dessous d’elle, qui symbolise l’Univers selon la pensée soufie.

Konya, véritable creuset de la pensée soufie, où se noue une rencontre décisive entre deux figures historiques emblématiques. D’un côté, Rûmi, un érudit et prédicateur respecté, enfermé dans une spiritualité classique qui, jusqu’alors, ne bouscule guère les formes extérieures de la vie religieuse. De l’autre, Shams de Tabriz, derviche errant au caractère imprévisible et subversif. Leur amitié, d’une intensité bouleversante, renverse l’ordre établi.
Ce dialogue entre l’ordinaire et le sacré, entre une modernité désenchantée et une spiritualité exaltée, s’inscrit dans le riche décor du soufisme du XIIIᵉ siècle, où poésie, musique et danses hiératiques des derviches tourneurs témoignent d’une quête inlassable de l’extase divine.

« Il est facile d’aimer le Dieu parfait, sans tache et infaillible qu’il est. Il est beaucoup plus difficile d’aimer nos frères humains avec leurs imperfections et leurs défauts. Sans aimer les créations de Dieu on ne peut sincèrement aimer Dieu.« 

Shams apparaît comme un véritable miroir de vérité, sans compromis ni artifice, invitant Rûmi et par extension chacun de nous à abandonner ses dogmes pour embrasser « l’amour divin » dans sa plus pure extase.

« L’enfer est dans l’ici et le maintenant. De même que le ciel. Cesse de t’inquiéter de l’enfer ou de rêver du ciel, car ils sont tous les deux présents dans cet instant précis. Chaque fois que nous tombons amoureux, nous montons au ciel. Chaque fois que nous haïssons, que nous envions ou que nous battons quelqu’un, nous tombons tout droit dans le feu de l’enfer. »

III. L’odyssée de la transformation spirituelle


Au fil des pages, mes préjugés s’évanouissent pour laisser place à une admiration sincère pour la richesse insoupçonnée de la culture soufie, que je n’avais jusque-là qu’effleurée. Elif Shafak, d’une plume incisive et lyrique, parvient à nous saisir et chaque mot résonne comme une invitation à la méditation sur la vie, l’amour et la transcendance. Ce roman n’est pas simplement un ouvrage littéraire orné de références culturelles et historiques précises (au-delà de la romance il y a une véritable érudition de la part de l’auteur sur le sujet), il se veut un véritable hymne à la découverte de soi, à la tolérance et à l’humilité une incitation à repenser la spiritualité et à s’ouvrir à l’infini mystère de l’existence.

« Vous voyez, il ne faut pas juger la manière dont les autres communiquent avec Dieu, conclut Shams. A chacun sa voie, à chacun sa prière. Dieu ne nous juge pas sur nos paroles. Il lit plus profondément dans nos cœurs. Ce ne sont ni les cérémonies ni les rituels qui font une différence, mais la pureté de nos cœurs. »

La force évocatrice du récit se révèle aussi par la métaphore de la pierre jetée dans l’eau, magnifiquement décrite par Shafak en début d’ouvrage :

Tu tiens une pierre entre tes doigts et tu la lances dans un ruisseau. Tu risques d’avoir du mal à constater l’effet produit. Il y aura une petite ride où la pierre a brisé la surface, et un clapotis, mais étouffé par les flots bondissants du cours d’eau. C’est tout.

Lance une pierre dans un lac. L’effet sera non seulement visible, mais durable. La pierre viendra troubler la nappe immobile. Un cercle se formera où la pierre a frappé et, au même instant, il se démultipliera, en formant d’autres, concentriques. Très vite, les ondulations causées par ce seul « plop » s’étendront au point de se faire sentir sur toute la surface de l’eau, tel un miroir une seconde plus tôt. Les cercles atteindront les rives et, alors seulement, ils s’arrêteront de grandir et s’effaceront.

Si une pierre tombe dans une rivière, les flots la traiteront comme une commotion parmi d’autres dans un cours déjà tumultueux. Rien d’inhabituel. Rien que la rivière ne puisse maîtriser.

Si une pierre tombe dans un lac, en revanche, ce lac ne sera plus jamais le même.


Ces mots, empreints de sagacité, nous rappellent que même un infime geste ou une lecture inattendue peut modifier irrémédiablement le cours de notre existence, tout comme le lac ne sera plus jamais le même après avoir accueilli la pierre.

Ainsi, « Soufi, mon amour » demeure pour moi une expérience littéraire inoubliable, une œuvre vibrante et passionnante qui, par ses éclairages mystiques et sa profondeur spirituelle, prouve que la connaissance de soi se trouve souvent dans la rencontre de l’ordinaire et du sacré. Ce roman est, à mes yeux, une invitation à repenser « la Vérité », telle que le résume si justement Rûmi :

« La vérité était un miroir dans les mains de Dieu. Le miroir est tombé et s’est brisé en éclats. Chacun en a pris un morceau, l’a regardé et a cru que c’était la vérité. »

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Conclusion

Soufi, mon amour est selon moi une véritable une invitation à redécouvrir l’essence même de notre humanité. À travers les enseignements de Shams de Tabriz et la transformation intérieure de Rûmî, il m’a rappelé qu’il est parfois nécessaire de mettre de côté l’intellect et la raison pour se laisser guider par ce qui nous définit profondément : l’Amour, dans sa forme la plus pure et inconditionnelle. Ce livre m’a touché non seulement par sa philosophie, mais aussi par la rigueur historique avec laquelle Elif Shafak construit son récit. Grâce à son érudition et à un travail de recherche minutieux, elle restitue avec justesse des scènes emblématiques de la vie de ces figures mystiques.

Tout en nous transportant dans un monde empreint de poésie et de spiritualité, Soufi, mon amour résonne comme un appel à écouter davantage notre cœur, à embrasser l’amour et à nous ouvrir à l’infini mystère de la vie dans ses zones d’ombres et de lumières.

Sylvain Gammacurta